Cour des comptes. 1ère chambre. Arrêt. 21/05/2013

Cour des comptes. 1ère chambre. Arrêt. 21/05/2013

Direction départementale des finances publiques (DDFIP) des Côtes d'Armor - Service des impôts des entreprises (SIE) de Saint-Brieuc-Est - Exercice 2008. n° 66922

RéPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR DES COMPTES a rendu l’arrêt suivant :

LA COUR,

Vu le compte produit en 2009 par le trésorier-payeur général des Côtes d’Armor en qualité de comptable principal de l'Etat, pour l’exercice 2008, dans lequel sont reprises les opérations des comptables des impôts de la direction des services fiscaux des Côtes d’Armor pour le même exercice ;

Vu les pièces justificatives des décharges de droits et des admissions en non-valeur mentionnées auxdits états ;

Vu les balances de comptes desdits états au 31 décembre de l’année 2008 ;

Vu les états nominatifs des droits pris en charge par ces comptables jusqu'au 31 décembre 2005 et restant à recouvrer au 31 décembre 2008 ;

Vu les pièces justificatives recueillies au cours de l'instruction ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général de la comptabilité publique ;

Vu le décret n° 77-1017 du 1er septembre 1977 relatif à la responsabilité des comptables des administrations financières ;

Vu l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;

Vu la loi n° 2008-1091 du 28 octobre 2008, relative à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes, et notamment son article 34, 1er alinéa ;

Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du paragraphe VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 susvisée ;

Vu l'arrêté n° 12-831 du Premier président du 21 décembre 2012, portant répartition des attributions entre les chambres de la Cour des comptes ;

Vu l’arrêté modifié n° 06-346 du Premier président du 10 octobre 2006, portant création et fixant la composition des sections au sein de la première chambre de la Cour des comptes ;

Vu la lettre du 29 février 2012 par laquelle, en application des articles R. 141-10 et D. 141-10-1 du code des juridictions financières, le président de la première chambre de la Cour des comptes a notifié au directeur départemental des finances publiques des Côtes d’Armor le contrôle des comptes pour les exercices 2003 à 2010 ;

Vu le réquisitoire à fin d’instruction de charge du Procureur général près la Cour des comptes n° 2012-68 RQ-DB, du 18 octobre 2012, dont M. X, comptable, a accusé réception le 19 novembre 2012 ;

Vu les éléments de réponse produits par M. X le 13 décembre 2012 ;

Vu la lettre du président de la première chambre de la Cour des comptes du 25 octobre 2012 désignant M. Jean-Michel Lair, conseiller maître, pour instruire les suites à donner au réquisitoire susvisé ;

Vu le cautionnement de M. X, comptable à Saint-Brieuc Est, d’un montant de 168 953 euros à compter du 1er décembre 2007 ;

Sur le rapport de M. Lair, conseiller maître ;

Vu les conclusions n° 219 du Procureur général près la cour des comptes du 19 mars 2013 ;

Vu la lettre du 6 mars 2013 du président de la première chambre désignant M. Jean-Michel de Mourgues, conseiller maître, comme réviseur ;

Vu la lettre du 6 mars 2013, informant M. X de la date de l’audience publique du 27 mars 2013, et l’accusé de réception de cette lettre signé le 7 mars 2013 par le comptable ;

Entendus en audience publique, M. Lair, conseiller maître, en son rapport oral, et M. Yves Perrin, avocat général, en ses conclusions orales ;

Entendu en audience publique, M. X en ses observations, la parole lui étant donnée en dernier ;

Entendu à huis clos, le ministère public et le rapporteur s’étant retirés, M. de Mourgues, conseiller maître, en ses observations ;

ORDONNE :

A l’égard de M. X

Affaire : « Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (Eurl) »

Le Mat Xandra

Exercice 2008

Considérant que par réquisitoire du 18 octobre 2012 le Procureur général a estimé que la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, comptable en fonctions au service des impôts des entreprises de Saint-Brieuc Est, du 4 décembre 2007, et jusqu’à la fin des exercices sous revue, pouvait être mise en jeu à hauteur de 10 000 euros au titre de l’exercice 2008 ;

Attendu en effet que l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (Eurl) Le Mat’Xandra a été déclarée en redressement judiciaire le 12 février 2007 par jugement publié le 2 mars 2007, procédure convertie en liquidation judiciaire le 24 septembre 2007 puis clôturée pour insuffisance d’actif le 24 février 2010 ;

Attendu que le 4 avril 2007, les créances de l’Etat déclarées au passif du redressement judiciaire, à titre définitif pour 13 104 euros et à titre provisionnel pour 10 000 euros, ont été admises au passif le 2 octobre 2007, conformément à leur déclaration ;

Attendu qu’une fiche de prise en charge de la taxe sur la valeur ajoutée, d’un montant de 10 000 euros, a été transmise au service comptable le 15 janvier 2008 ; que cette créance déclarée à titre provisionnel, mise en recouvrement le 31 janvier 2008, par avis notifié le 5 février 2008, n’a pas été convertie à titre définitif au passif de la procédure, comme le prévoit l’article L. 624-1 du code de commerce ; qu’en l’espèce, ce délai était de douze mois à compter du jugement d’ouverture de la procédure, publié au Bulletin des Annonces Civiles et Commerciales, délai expirant le 12 février 2008 ; que la créance de 10 000 euros s’est trouvée forclose depuis cette date ;

Attendu que l’admission en non-valeur de la créance a été prononcée par décision du 11 juin 2010, attestant que les créances avaient été régulièrement déclarées, et converties pour celles produites à titre provisionnel ;

Considérant que la Cour, dans son appréciation de la responsabilité des comptables et de leurs diligences, n’est pas tenue par les décisions administratives d’admission en non-valeur ;

Considérant que dans sa réponse à la Cour le 13 décembre 2012 M. X fait valoir que l’inspection de contrôle et d’expertise (ICE) lui a transmis un état liquidatif d’un montant de taxe sur la valeur ajoutée de 10 000 euros, respectivement 7 500 euros sur l’exercice 2006 et 2 500 euros pour la période allant du 1er janvier 2007 au 12 février 2007 ; que la fiche de prise en charge, remise le 16 janvier 2008 au service comptable, d’un montant de taxe sur la valeur ajoutée de 10 000 euros, portait sur la période du 1er décembre 2006 au 30 septembre 2007, sans répartition des créances nées avant et après le jugement d’ouverture de la procédure ; que cette taxation d’office, menée, selon le comptable, d’une manière irréaliste, l’aurait empêché d’opérer lui-même la répartition entre créances avant jugement et après jugement, et donc de convertir la créance déclarée à titre provisionnel ;

Attendu qu’en outre le comptable fait référence à deux arrêts de la Cour de cassation des 29 avril 2003 et 19 novembre 2003 (respectivement Trésorier de Grignan et receveurs divisionnaires des impôts de Niort) qui, selon lui, impliqueraient « qu’il n’était guère réaliste de tenter de convertir une créance déclarée à titre provisionnel avec un avis de mise en recouvrement concernant pour l’essentiel la continuation de l’activité après jugement » ;« qu’en l’absence de déclaration complémentaire, laquelle aurait nécessité un relevé de forclusion, la créance ne pouvait être admise qu’à concurrence de la somme déclarée à titre provisionnel » ; qu’aux termes de l’arrêt de la Cour de cassation précité du 19 novembre 2003 «le receveur informé de la procédure collective en temps utile n’avait pas complété sa déclaration dans le délai précité et que, pour être relevé de la forclusion, il lui appartenait comme tout autre créancier, d’établir que sa défaillance ne lui était pas imputable » ;

Considérant que cette jurisprudence de la Cour de cassation, commentée par le Bulletin juridique du recouvrement (BJR) de la DGFIP du 1er trimestre 2004, porte sur des affaires différentes de celle soumise au juge des comptes ; qu’en effet, il ne s’agit pas, contrairement aux affaires jugées par la Cour de cassation, d’une différence de montant entre la déclaration provisionnelle et la déclaration définitive ; que, dans le cas soumis au juge des comptes, il s’agit d’une déclaration provisionnelle de taxe sur la valeur ajoutée de 10 000 euros, portant sur la période du 1er janvier 2006 au 12 février 2007, non convertie à titre définitif, mise en recouvrement pour le même montant pour la période décembre 2006 à septembre 2007 ; que le comptable ne peut donc identifier son affaire à celles jugées par la Cour de cassation ;

Attendu par ailleurs que le comptable fait valoir que la fin de la période de conversion se situait deux mois après sa prise de poste, pendant la période durant laquelle il pouvait faire des réserves sur son prédécesseur ; que toutefois, cet argument ne saurait dégager la responsabilité du comptable, la question des réserves étant sans lien avec les obligations auxquelles le comptable est tenu pour recouvrer une créance ;

Attendu que, selon le comptable, le service des impôts des entreprises n’aurait pas été doté d’un système spécifique de surveillance des créances à convertir ; que cet argument, lié aux conditions de fonctionnement du poste, n’a pas à être pris en considération par le juge des comptes ;

Attendu que le comptable indique aussi quela procédure a été clôturée pour insuffisance d’actif ; que le mandataire avait fait un versement de 858,02 euros imputé sur la créance admise à titre définitif ; que, selon le comptable, aucun recouvrement n’aurait pu être obtenu, même si la créance avait été convertie à titre définitif au passif ;

Attendu que le fait qu’aucun recouvrement n’aurait pu être espéré est sans effet sur le manquement que le comptable a commis en 2008 en ne convertissant pas la créance, manquement qui a entraîné un préjudice pour le Trésor ;

Attendu que M. X, lors de l’audience publique, a fait valoir à décharge en premier lieu, le fait que le document de prise en charge établi par le service d’assiette portait, certes, sur les mêmes exercices, 2006 et 2007, que l’état liquidatif provisionnel, mais pas sur les mêmes mois ; que cette discordance lui aurait interdit toute tentative de conversion de la créance provisionnelle de 10 000 euros à titre définitif, qui n’aurait eu aucune chance d’être acceptée par le liquidateur ; que selon lui, cette discordance ne lui était pas imputable, mais résultait d’un défaut de communication entre services ; qu’il conteste donc la présomption de charge à son encontre ;

Attendu qu’il n’appartient pas au comptable de contester la taxation d’office effectuée le 14 décembre 2007 par le service d’assiette (ICE) ; que le comptable n’est pas juge de la légalité des actes de l’ordonnateur ;

Attendu en outre que l’argument du défaut de communication entre services, argument qui d’ailleurs n’a pas à être pris en considération par le juge des comptes, ne saurait de toute façon être retenu dès lors que l’ICE et le service de de recouvrement (SIE) des Côtes d’Armor étaient dans les mêmes locaux ;

Attendu que M. X a fait aussi savoir lors de l’audience publique que la fiche de prise en charge de 10 000 euros précitée se rapportait principalement à la période postérieure au jugement d’ouverture de la procédure ; que dès lors, ces créances relevaient de la poursuite d’activité ; que, de ce fait, le liquidateur aurait été informé de l’existence de ces créances par un avis de mise en recouvrement du 31 janvier 2008 qui lui avait été notifié le 5 février 2008 ;

Attendu toutefois qu’au vu de cet avis de mise en recouvrement, aucune information sur l’existence de créances relevant de la poursuite d’activité n’y est mentionnée ;

Attendu qu’en application de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, dont les termes sont repris par le bulletin juridique du recouvrement de 2006 et 2008, lesdites créances doivent être « portées à la connaissance du liquidateur dans les six mois à compter de la publication du jugement de la liquidation judiciaire comme le prévoit l’article L. 641-13 du code de commerce ; que ces créances sont payées par privilège avant toutes les autres créances assorties ou non de privilèges ou sûretés ; qu’à défaut, elles perdent leur privilège » ;

Considérant que la créance en cause de 10 000 euros, mise en recouvrement le 31 janvier 2008 relevait de l’article L. 622-24 du code de commerce et avait été déclarée comme telle le 4 avril 2007 à titre provisionnel au passif du redressement judiciaire ;

Considérant que l’état de reddition des comptes montre que les créances nées après le jugement d’ouverture et régulièrement communiquées au liquidateur avaient été réglées par le liquidateur ; qu’en outre, le surplus des fonds disponibles avait permis d’apurer partiellement la créance antérieure au jugement, cette dernière ayant bien été déclarée régulièrement à titre définitif ;

Attendu qu’aux termes du décret du 29 décembre 1962 susvisé « les comptables sont tenus d’exercer : » A.- En matière de recettes, le contrôle : […] Dans la limite des éléments dont ils disposent, de la mise en recouvrement des créances de l’organisme public et de la régularité des réductions et des annulations des ordres de recettes » ;

Considérant que la responsabilité des comptables du fait du recouvrement des recettes s’apprécie au regard de l’étendue de leurs diligences qui doivent être « adéquates, complètes et rapides » ; que le Conseil d’Etat a jugé le 27 octobre 2000, (Desvigne) que « le juge des comptes ne peut fonder ses décisions que sur des éléments matériels des comptes ; qu’il lui appartient à ce titre de se prononcer sur le point de savoir si un comptable public s’est livré aux différents contrôles qu’il lui appartient d’assurer, et notamment, s’agissant du recouvrement d’une créance qu’il avait pris en charge, s’il a exercé dans les délais appropriés toutes les diligences requises pour ce recouvrement, lesquelles diligences ne peuvent être dissociées du jugement du compte » ;

Considérant qu’en ne déclarant pas à titre définitif sa créance provisionnelle de 10 000 euros dans les délais impartis, M. X, en fonctions du 4 décembre 2007 et durant toute la période sous revue, ne s’est pas acquitté de ses obligations ;

Considérant que l’absence de conversion à titre définitif d’une créance déclarée à titre provisionnel est un manquement de M. X, manquementqui a causé, en 2008, un préjudice financier du montant de la somme devenue irrécouvrable, faute de conversion, soit 10 000 euros ;

Considérant qu’aux termes de l'article 60 modifié de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 : « les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes…(paragraphe I- al. 1)… des contrôles qu’ils sont tenus d’exercer en matière de recette…dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique (paragraphe I- al. 2). La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors…qu'une recette n'a pas été recouvrée (paragraphe I-al. 3). La responsabilité personnelle et pécuniaire d’un comptable public ne peut être mise en jeu que par…le juge des comptes (paragraphe IV) ;

Attendu qu’aux termes de la loi du 23 février 1963 modifiée, en son paragraphe VI, alinéa 3, « Lorsque le manquement du comptable (…) a causé un préjudice financier, le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;

Considérant par conséquent que M. X doit être constitué débiteur envers l’Etat de la somme de 10 000 euros ;

Considérant qu’aux termes du paragraphe VIII de l’article 60 modifié de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ; « les débets portent intérêtau taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ;

Considérant que le premier acte de la mise en jeu de la responsabilité est la réception par le comptable de la notification du réquisitoire du ministère public ; que cette notification a été transmise par le directeur départemental des finances publiques des Côtes d’Armor au comptable qui en a accusé réception le 19 novembre 2012 ; que les intérêts devront donc courir à compter de cette date ;

Par ce motif,

M. X est constitué débiteur envers l’Etat au titre de l’année 2008, de la somme de dix mille euros (10 000 euros), augmentée des intérêts de droit à compter du 19 novembre 2012.

---------

Fait et jugé en la Cour des comptes, première chambre, première section, le vingt-sept mars deux mil treize. Présents : Mme Fradin, président de section, MM. de Mourgues, Brun-Buisson, Ory-Lavollée et Chouvet, conseillers maîtres.

Signé : Fradin, président de section, et Férez, greffier.

Collationné, certifié conforme à la minute étant au greffe de la Cour des comptes.

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

Délivré par moi, secrétaire général.

Pour le Secrétaire général

et par délégation,

le Chef du Greffe contentieux

Daniel FEREZ

Vous ne trouvez pas ce que vous cherchez ?

Demander un document

Avertissement : toutes les données présentées sont fournies directement par la DILA via son API et ne font l'objet d'aucun traitement ni d'aucune garantie.

expand_less