Cour des comptes. 1ère chambre. Arrêt. 08/09/2015

Cour des comptes. 1ère chambre. Arrêt. 08/09/2015

Direction régionale des finances publiques (DRFIP) du Languedoc-Roussillon et du département de l'Hérault - Service des impôts des entreprises (SIE) de Montpellier Sud-Est - Exercices 2005 à 2011. n° 72605

République Française,

Au nom du peuple français,

La Cour,

Vu le réquisitoire du 19 juin 2014, notifié respectivement le 24 juillet 2014 et le 14 septembre 2014 aux receveurs ci-après nommés, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi la première chambre de ladite Cour en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de MM. Xet Y, receveurs du service des impôts des entreprises (SIE) de Montpellier Sud-Est ;

Vu les comptes de la direction régionale des finances publiques de Languedoc-Roussillon et du département de l’Hérault rendus pour les exercices 2005 à 2011, y annexés les états de restes à recouvrer établis, en leur qualité de receveur des administrations financières, par M. Y, pour la période du 1er janvier 2005 au 27 juillet 2007, et par M. X, pour la période du 28 juillet 2007 au 28 octobre 2009 ;

Vu les justifications produites au soutien des susdits états annexes, ensemble les pièces recueillies au cours de l’instruction

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code général des impôts, ensemble ses annexes et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, applicable au moment des faits ;

Vu le décret n° 77-1017 du 1er septembre 1977 relatif à la responsabilité des receveurs des administrations financières ;

Vu le décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 relatif au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, applicable au moment des faits ;

Vu les observations écrites de M. Y, des 14 septembre 2014 et 6 juillet 2015, et de M. X, du 16 septembre 2014, ensemble les pièces jointes ;

Vu le rapport à fin d’arrêt n° 2015-203-0 de M. Vincent Feller, conseiller maître ;

Vu les conclusions du Procureur général ;

Entendu, lors de l’audience publique du 7 juillet 2015, M. Vincent Feller, en son rapport, et M. Bertrand Diringer, avocat général, en les conclusions du ministère public, les parties n’étant ni présentes ni représentées ;

Entendu en délibéré M. Guy Fialon, conseiller maître, en ses observations ;

Sur la charge présumée à l’encontre de M. X (affaire Sarl « Société Entretien Nettoyage »). Exercice 2009.

Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a estimé que la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X pouvait être mise en jeu, sur l’exercice 2009, au motif que ce receveur des impôts aurait manqué à ses obligations en ce qui concerne le recouvrement d’une créance de 690 455,62 € détenue par l’Etat sur la société à responsabilité limitée dénommée « Société Entretien Nettoyage », aucune diligence n’ayant été accomplie pour recouvrer ladite créance sur le dirigeant de cette société, alors que celui-ci avait été condamné par le juge pénal au paiement solidaire d’une partie des dettes fiscales de son entreprise ;

Sur l’existence d’un manquement du receveur à ses obligations

Sur la règle de droit

Attendu qu’aux termes de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes et des contrôles qu’ils sont tenus d’exercer en matière de recettes dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique et que leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu'une recette n'a pas été recouvrée ; que la responsabilité du comptable public en matière de recouvrement des recettes s’apprécie au regard de ses diligences, qui doivent être adéquates, complètes et rapides ;

Sur les faits


Attendu que la société à responsabilité limitée « Société Entretien Nettoyage » a été déclarée en redressement judiciaire par un jugement du 28 septembre 2001, publié au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales le 18 octobre 2001, puis mise en liquidation judiciaire par un jugement du 19 octobre 2001, publié audit bulletin le 8 novembre 2001 ; qu’à la date du 31 décembre 2011, cette société restait redevable envers l’Etat de la somme 1 163 845,17 €, d’après l’état des restes à recouvrer susvisé ; que la procédure de liquidation judiciaire a été close pour insuffisance d’actif par un jugement du 29 juin 2007 ;

Attendu que, sur plainte du directeur des services fiscaux de l’Hérault, le tribunal de grande instance de Montpellier, par un jugement correctionnel du 3 février 2005, rendu par défaut, a déclaré M. Z, dirigeant de la société à responsabilité limitée susnommée, solidairement tenu avec ladite société au paiement d’impôts fraudés et des pénalités y afférentes ; que, de la sorte, M. Z s’est trouvé redevable envers l’Etat de la somme de 690 455,62 € ;

Attendu que ledit jugement, faute d’adresse connue du justiciable, a été signifié le 14 juin 2005 au parquet de Toulon ;

Attendu qu’aucune diligence n’a été accomplie en vue du recouvrement de cette créance sur M. Z ;

Sur les éléments à décharge apportés par le receveur


Attendu que M. X fait état de « recherches préventives très diversifiées » sur les biens de M. Z qui auraient été faites en 2001 et 2002, mais seraient restées vaines ; que le départ de M. Z pour Madagascar aurait été connu en mai 2002 ; que ce dernier n’avait pas pu être localisé en France, lors de l’instruction judiciaire, ni ultérieurement ;

Attendu que M. X fait également état de démarches en 2011 pour retrouver M. Z et du fait que la créance détenue sur son entreprise ne se serait trouvée prescrite que quatre ans après le jugement de clôture de la procédure de liquidation judiciaire, soit également en 2011 ;


Sur l’application au cas d’espèce


Attendu que le délai d’appel contre le jugement correctionnel du 3 février 2005, signifié le 14 juin 2005 au parquet de Toulon, a expiré le 24 juin 2005 ; qu’à compter de cette date, le délai de prescription de la créance a commencé de courir ;

Attendu qu’il est fait grief au comptable de n’avoir accompli aucune diligence pour recouvrer la créance détenue par l’Etat sur M. Z ; que, dès lors, l’argument selon lequel la créance détenue sur son entreprise se serait trouvée prescrite postérieurement à sa gestion est, en toute hypothèse, inopérant ;

Attendu que le jugement correctionnel du 3 février 2005 mentionne l’adresse de M. Z à Madagascar ; que, dès lors, le recouvrement de la créance aurait pu être entrepris dans les conditions prévues par la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République démocratique de Madagascar, signée le 22 juillet 1983 ; que cette convention prévoit une assistance mutuelle au recouvrement pour la totalité des créances fiscales et non fiscales détenues par l’une des deux parties sur un résident de l’autre partie ; qu’en conséquence, l’exploitation des informations contenues au dossier, notamment la mention d’une adresse à Madagascar, faisait de la saisine des services de la direction des résidents à l’étranger et des services généraux (DRESG) une diligence adéquate, en vue de préserver les droits du Trésor ;

Attendu que, faute de diligences en vue de son recouvrement, la créance de 690 455,62 € détenue par l’Etat sur M. Z s’est trouvée éteinte par prescription le 24 juin 2009, sous la gestion de M. X, qui l’avait prise en charge sans réserve, lors de son entrée en fonctions, le 28 juillet 2007 ; que M. X ayant ainsi manqué à ses obligations en matière de recouvrement des recettes, il y a lieu de mettre en jeu sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;

Sur l’existence d’un préjudice financier pour l’Etat


Attendu qu’aux termes du 3ème alinéa du paragraphe VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au (I) a causé un préjudice financier, le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;

Attendu que le non-recouvrement d’une créance cause par principe un préjudice financier à la collectivité publique créancière ; qu’il n’y a absence de préjudice que s’il est établi que l’Etat n’aurait pas pu être désintéressé même si le comptable avait satisfait à ses obligations ; que cette preuve n’a pas été apportée ;

Attendu qu’il y a donc lieu de constituer M. Xdébiteur envers l’Etat de la somme de 690 455,62 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de sa responsabilité personnelle et pécuniaire, c'est-à-dire à compter du 24 juillet 2014, date de la réception du réquisitoire susvisé ;

Sur la charge présumée à l’encontre de M. Y (affaire Sarl « Immobilière de commerces et d’affaires »). Exercice 2005.

Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a estimé que la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. Y pouvait être mise en jeu, sur l’exercice 2005, au motif que ce receveur des impôts aurait manqué à ses obligations en ce qui concerne le recouvrement d’une créance de 42 395 € détenue par l’Etat sur la société à responsabilité limitée dénommée « Immobilière de commerces et d’affaires », ladite créance n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration, lors de la procédure de redressement judiciaire de l’entreprise ;

Sur l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations


Sur la règle de droit


Attendu qu’aux termes de l’ancien article L. 621-46 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au moment des faits, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et dividendes dans le cas d’un défaut de déclaration dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat, à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ; que le décret du 27 décembre 1985 susvisé, alors applicable, disposait, en son article 66, que le délai de déclaration était de deux mois à compter de la publication du jugement au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales ;

Attendu qu’aux termes de la loi du 23 février 1963 susvisée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes et des contrôles qu’ils sont tenus d’exercer en matière de recettes dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique et que leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu'une recette n'a pas été recouvrée ; que la responsabilité du comptable public en matière de recouvrement des recettes s’apprécie au regard de ses diligences, qui doivent être adéquates, complètes et rapides ;

Sur les faits


Attendu que la société à responsabilité limitée « Immobilière de commerces et d’affaires » (ICA) a été placée en règlement judiciaire par un jugement du 10 décembre 2004, publié au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, le 26 décembre 2004, puis mise en liquidation judiciaire par un jugement du 6 janvier 2006, publié au même bulletin le 1er février 2006 ; que la procédure a été close par jugement du 29 juin 2007, publié le 12 juillet 2007 ;

Attendu que cette société était redevable, pour un montant total de 56 567 €, de taxes sur le chiffre d’affaires, mises en recouvrement par avis notifiés les 5 janvier et 9 juillet 2004 ; que le montant ci-dessus s’est trouvé ramené à 42 395 €, à la suite de paiements effectués, les 15 mars et 19 avril 2004, en exécution d’avis à tiers détenteurs productifs ;

Attendu que ces créances fiscales n’ont pas été déclarées au mandataire judiciaire et, de ce fait, n’ont pas été inscrites au passif du redressement judiciaire ;


Sur les éléments à décharge invoqués par le comptable

Attendu que, dans sa réponse du 14 septembre 2014, M. Y invoque à décharge un changement dans l’organisation de son service ; qu’il indique que les intérêts du Trésor n’auraient pas été lésés, les créanciers de même rang que le Trésor n’ayant bénéficié d’aucun versement ; que, dans sa réponse du 6 juillet 2015, M. Y complète ce second argument en se référant à la demande d’admission en non-valeur de la créance, présentée en 2011, dans laquelle il est indiqué que le mandataire judiciaire aurait établi un certificat d’irrécouvrabilité, le 12 avril 2007, et qu’un état de reddition du compte portant la même date attesterait de l’insuffisance totale de l’actif à répartir au profit du Trésor ;

Sur l’application au cas d’espèce


Attendu que le défaut de déclaration au mandataire judiciaire d’une créance détenue par l’Etat sur une entreprise en redressement judiciaire constitue un manquement aux obligations incombant à un comptable public en matière de recouvrement des recettes, puisque l’exécution de cette formalité fait partie des diligences nécessaires au recouvrement ;

Attendu que les changements intervenus dans l’organisation du service de recouvrement, au moment même où était publié le jugement plaçant l’entreprise débitrice en redressement judiciaire ne constituent pas une circonstance relevant de la force majeure, au demeurant non alléguée ; qu’elle ne peut donc venir à la décharge du comptable ;

Attendu que ni un certificat d’irrécouvrabilité ni un état de reddition des comptes, à supposer leur existence établie, ne seraient de nature à prouver que le receveur n’aurait pas manqué à ses obligations de diligences ;

Attendu qu’aucun élément à décharge invoqué par M. Y ne peut, ainsi, être retenu ; que M. Y ayant manqué à ses obligations en matière de recouvrement des recettes, il y a lieu de mettre en jeu sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;

Sur l’existence d’un préjudice financier


Attendu qu’aux termes du 3ème alinéa du paragraphe VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au (I) a causé un préjudice financier, le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;

Attendu que le non-recouvrement d’une créance cause par principe un préjudice financier à la collectivité publique créancière ; qu’il n’y a absence de préjudice que s’il est établi que l’Etat n’aurait pas pu être désintéressé même si le comptable avait satisfait à ses obligations ;

Attendu, d’une part, qu’un certificat d’irrécouvrabilité émis par un mandataire judiciaire n’a en toute hypothèse qu’une valeur indicative et ne peut ainsi suffire à établir l’absence de préjudice ; que, d’autre part, le comptable ne produit pas l’état de reddition des comptes qui, selon lui, attesterait de l’absence d’actif à répartir au profit des créanciers de même rang que le Trésor ;

Attendu qu’il y a lieu, ainsi, de constituer M. Y débiteur envers l’État de la somme de 42 395 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de sa responsabilité personnelle et pécuniaire, c'est-à-dire à compter du 14 septembre 2014, date de la réception du réquisitoire susvisé ;

Par ces motifs,

DECIDE :

En ce qui concerne M. X

Au titre de l’exercice 2009, présomption de charge n° 1

Article 1er : M. X est constitué débiteur envers l’Etat de la somme de 690 455,62 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 24 juillet 2014.

Article 2 : M. X ne pourra être déchargé de sa gestion pendant l’année 2009, au 28 octobre, qu’après l’apurement du débet fixé ci-dessus.

En ce qui concerne M. Y

Au titre de l’exercice 2005, présomption de charge n° 2

Article 3 : M. Y est constitué débiteur envers l’Etat de la somme de 42 395 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 14 septembre 2014.

Article 4 : M. Yne pourra être déchargé de sa gestion pendant l’année 2005 qu’après l’apurement du débet fixé ci-dessus.

Fait et jugé par M. Philippe Geoffroy, président de section, présidant la séance, MM. Daniel-Georges Courtois, Jean-Christophe Chouvet et Guy Fialon, conseillers maîtres.

En la présence de Mme Annie Le Baron, greffière de séance.

Annie Le Baron

Philippe Geoffroy

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.

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