Cour des comptes. 4ème chambre. Arrêt d'appel. 19/11/2015

Cour des comptes. 4ème chambre. Arrêt d'appel. 19/11/2015

Commune de Martignas-sur-Jalle (Gironde) - Appel d'un jugement de la chambre régionale des comptes d'Aquitaine, Poitou-Charentes. n° 72761

République Française,

Au nom du peuple français,

La Cour,

Vu le réquisitoire n° 2013-0046 du 12 décembre 2013 par lequel le procureur financier près la chambre régionale d’Aquitaine, Poitou-Charentes a saisi cette chambre en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, comptable de la commune de Martignas-sur-Jalle (Gironde), au titre d’opérations relatives à l’exercice 2008 ;

Vu le jugement n° 2014-004 du 3 juin 2014 par lequel ladite chambre a mis à la charge de M. X une somme irrémissible de 150 € pour avoir réglé des factures hors marché en l’absence d’avenant ou de décision de poursuivre ;

Vu la requête enregistrée le 24 juillet 2014au greffe de la chambre régionale des comptes régionale d’Aquitaine, Poitou-Charentes, par laquelle le procureur financier près cette même chambre a interjeté appel du jugement susvisé ;

Vu le réquisitoire du Procureur général près la Cour des comptes n° 2014-113 du 15 octobre 2014, transmettant à la Cour la requête précitée ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;

Vu le rapport de Mme Esther MAC NAMARA, auditrice ;

Vu les mémoires en défense transmis par M. X et versés au dossier le 5 août 2014 et le 8 octobre 2015 ;

Vu les conclusions du Procureur général n° 589 du 25 septembre 2015 ;

Entendu, lors de l’audience publique du 15 octobre 2015, Mme Esther MAC NAMARA, en son rapport, M. Christian MICHAUT, avocat général, en les conclusions du ministère public ;

Après avoir entendu en délibéré Mme Isabelle Latournarie-Willems, conseillère maître, en ses observations ;

Attendu que par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Poitou-Charentes a mis à la charge de M. X, comptable de la commune de Martignas-sur-Jalle (Gironde), une somme irrémissible de 150 € pour avoir, au cours de l’exercice 2008, réglé des factures hors marché en l’absence d’avenant ou de décision de poursuivre approuvés par le conseil municipal de la commune ;

Attendu que le procureur financier près la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Poitou-Charentes demande à la Cour des comptes d’annuler le jugement susvisé pour vice de forme ou, à défaut, d’infirmer le jugement en tant qu’il a prononcé à tort l’infliction d’une somme non rémissible de 150 € à l’encontre de M. X, et de prononcer un débet à hauteur des dépenses irrégulièrement payées, soit 8 086,94 € ;

Sur la régularité du jugement attaqué

Attendu que le procureur financier met en cause la régularité du jugement attaqué, au motif qu'il n'aurait pas discuté le raisonnement présenté dans les conclusions du ministère public selon lesquelles, parce que procédant d’une autorité incompétente, les dépenses étaient, par construction, indues ;

Attendu qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article R. 242-10 du code des juridictions financières, « le jugement, motivé, statue sur les propositions du rapporteur, les conclusions du ministère public et les observations des autres parties » ; que si cette obligation de motivation impose de discuter, fût-ce succinctement, les observations des parties, elle n’impose pas à la juridiction de suivre le détail de leur argumentation ;

Attendu qu’en l'espèce, le jugement attaqué fait état des conclusions du procureur financier, en indiquant que « le conseil municipal n’ayant pas préalablement décidé de ces dépenses, leur réalisation a entraîné un appauvrissement non recherché par la collectivité et causé un préjudice financier pour la commune » ; qu’il statue sur ces conclusions en indiquant « que l’absence de décision préalable du conseil municipal de la commune de Martignas-sur-Jalle pour fonder le manquement du comptable n’établit pas, par elle-même, un appauvrissement de la commune ; que le service a été fait sur une commande de la collectivité pour satisfaire un besoin de la collectivité ; que si la suspension de paiement à laquelle aurait dû procéder le comptable aurait dû déboucher sur la passation d’un avenant préalable à la poursuite des paiements, rien ne permet d’établir que le prix en aurait été fixé à un niveau différent de celui approuvé par le conseil municipal lors de la passation du marché initial ou de l’avenant approuvé en mars 2009 » ; qu’ainsi, quand bien même ils n’ont pas explicitement repris l’argument selon lequel les dépenses étaient indues à raison de l’incompétence de l’auteur de l’acte, les premiers juges ont statué sur l’ensemble des éléments contenus dans les conclusions du ministère public ; que, dès lors, le jugement attaqué est suffisamment motivé ;

Sur le fond

Attendu que, par le réquisitoire susvisé du 12 décembre 2013, le procureur financier, au titre de l’unique présomption de charge, a fait grief à M. X d’avoir payé des mandats en dépassement du montant maximum fixé dans l’acte d’engagement d’un marché de denrées alimentaires au titre de l’exercice 2008 ; qu’à ce titre, le jugement entrepris a retenu que le manquement du comptable n’avait pas causé de préjudice financier à la commune ;

Attendu que l’appelant soutient que le jugement attaqué est erroné en ce qu’il a considéré que l’absence de décision préalable du conseil municipal pour fonder la dépense n’établissait pas par elle-même un appauvrissement de la commune ; qu’il soutient au contraire que c’est le paiement de dépenses non régulièrement décidées par une autorité habilitée qui a entraîné un « appauvrissement non recherché par la collectivité », constitutif d’un préjudice ; qu’il estime en outre que le jugement attaqué est entaché d’une erreur de fait en ce qu’il a considéré que les prestations réalisées résultaient d’une commande de la collectivité, alors que celle-ci émanait de l’ordonnateur ; qu’il fait enfin valoir que, dès lors qu’il n’appartient pas au juge des comptes de se prononcer sur le montant du préjudice subi par la collectivité, le jugement attaqué est entaché d’une erreur de droit pour avoir déduit l’absence de préjudice financier de la circonstance que rien ne permettait d’établir que le respect de la procédure eût conduit à fixer un prix différent ;

Attendu que le comptable argue que la commune n’a subi aucun préjudice financier dès lors que les paiements incriminés ont été effectués en contrepartie de livraisons de viande dans le but de satisfaire les besoins de la population ; qu’il soutient que, quoique intervenue tardivement, la passation d’un avenant au marché atteste de la conformité des paiements litigieux à l’intention de la commune ; qu’il souligne que, dans le cadre du contrôle de légalité, le préfet a approuvé la continuation du marché ; qu’enfin, il fait état d’affaires similaires dans lesquelles la Cour aurait estimé qu’il n’y avait pas de préjudice financier lorsque la dépense correspond à des prestations effectivement réalisées ;

Mais attendu qu’en vertu de l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics se trouve engagée dès lors notamment qu’une dépense a été irrégulièrement payée ; qu’en vertu du VI de l’article 60, lorsque le manquement du comptable public à ses obligations a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné, il a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels une somme égale à la dépense payée à tort ; que s’il n’a pas versé cette somme, il peut être, selon le VII de l’article 60, constitué en débet par le juge des comptes ;

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier que la dépense a été engagée par une autorité incompétente ; qu’il suit de là qu’alors même que la prestation avait été fournie dans le but de satisfaire les besoins de la population, la dépense était dépourvue de fondement juridique ; que, par suite le paiement des mandats litigieux était non seulement irrégulier, mais aussi indu ; qu’ainsi le préjudice financier est établi ; que la passation d’un avenant postérieurement aux paiements litigieux, quelle que soit sa conformité à la réglementation, n’est pas de nature à les purger de leur irrégularité au regard des dispositions précitées de l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963 ; que les solutions jurisprudentielles qu’invoque le comptable sont sans incidence sur l’analyse du préjudice financier en l’espèce ; que dès lors, c’est à tort que, par le jugement attaqué, la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Poitou-Charentes a jugé que le manquement du comptable n’avait pas causé de préjudice financier à la commune ;

Attendu que, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, il appartient à la Cour de statuer sur l’uniquegrief du réquisitoire du procureur financier susvisé ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que les manquements imputables à M. X ont causé un préjudice financier à la commune de Martignas-sur-Jalle ; qu’il convient dès lors de le constituer en débet pour la totalité de la somme payée à tort ;

Par ces motifs,

DÉCIDE :

Article 1er – Le jugement du 3 juin 2014 de la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Poitou-Charentes est infirmé en ce qu’il a énoncé que le manquement commis par M. X n’avait pas causé un préjudice financier à la commune de Martignas-sur-Jalle, et mis à la charge du comptable une somme irrémissible de 150 €.

Article 2 – M. X est constitué débiteur de la commune de Martignas-sur-Jalle, au titre de l’exercice 2008, pour la somme de 8 086,94 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 14 décembre 2013.

Article 3 – Il est sursis à décharge de M. X pour l’exercice 2008 jusqu’à l’apurement du débet fixé ci-dessus.

------------

Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Jean-Philippe VACHIA, président de chambre, président de la formation, M. Yves ROLLAND, conseiller maître, président de section, Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, MM. Gérard GANSER, Jean-Pierre LAFAURE, Jean-Yves BERTUCCI, conseillers maîtres, et Mme Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillère maître.

En présence de Mme Valérie GUEDJ, greffière de séance.

Valérie GUEDJ

greffière de séance

Jean-Philippe VACHIA

Président de séance

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.

Vous ne trouvez pas ce que vous cherchez ?

Demander un document

Avertissement : toutes les données présentées sont fournies directement par la DILA via son API et ne font l'objet d'aucun traitement ni d'aucune garantie.

expand_less