COUR DES COMPTES - Quatrième Chambre - Arrêt d'appel - 23/03/2017

COUR DES COMPTES - Quatrième Chambre - Arrêt d'appel - 23/03/2017

Gestion de fait des deniers de la commune d'Epinal (Vosges) - Appel d'un jugement de la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne, Lorraine- Rapport à fin d'arrêt (RAFA) - n° S-2017-0389

La Cour,

Vu les requêtes, enregistrées respectivement les 23 mai et 2 juin 2014 au greffe de la chambre régionale des comptes Champagne-Ardenne, Lorraine, par lesquelles MM. X et Y, Mme Z et la SCI « LES LAURIERS » ont élevé appel et demandé le sursis à exécution du jugement n° 2013-0005 du 24 avril 2014, par lequel ladite chambre les a déclarés conjointement et solidairement comptables de fait des deniers de la commune d’Épinal et leur a demandé de produire un compte unique de la gestion de fait dans un délai de deux mois ainsi que la preuve du reversement du solde dans les caisses du comptable public ;

Vu le réquisitoire du Procureur général près la Cour des comptes n° 2014-99 du 15 septembre 2014 transmettant la requête à la Cour ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance ;

Vu l’ordonnance n° 71963 du 11 février 2015 par laquelle le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes a rejeté les demandes des appelants tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution du jugement entrepris ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;

Vu l’article 20 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, ensemble l’article 87 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue de la loi n° 87-529 du 13 juillet 1987 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 modifié portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur jusqu’au 11 novembre 2012, ensemble le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, en vigueur à compter du 12 novembre 2012 ;

Vu l’article 2 du décret n° 85-730 du 17 juillet 1985 relatif à la rémunération des fonctionnaires de l'État et des fonctionnaires des collectivités territoriales régis respectivement par les lois n° 84-16 du 11 janvier 1984 et n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

Vu le rapport de M. Vincent FELLER, conseiller maître, ensemble les pièces à l’appui ;

Vu les conclusions du Procureur général n° 089 du 31 janvier 2017 ;

Entendu, lors de l’audience publique du 9 février 2017, M. FELLER, en son rapport, M. Bertrand DIRINGER, avocat général, en les conclusions du ministère public, Me Pierre-André BABEL, représentant M. X, maire d’Epinal, étant intervenu et ayant eu la parole en dernier ;

Après avoir entendu en délibéré Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, en ses observations ;

Sur la jonction des requêtes

Attendu que les requêtes susvisées ont le même objet, qu’elles émanent de l’ensemble des personnes ayant été déclarées comptables de fait par le jugement entrepris ; qu’il y a lieu, en conséquence, de les joindre pour qu’il y soit statué par une seule et même décision ;

Sur la régularité de la procédure

Attendu, en premier lieu, que les conclusions d’appel de M. X, sans contester formellement la régularité de la procédure, exposent que la chambre régionale des comptes n’aurait pas répondu à l’ensemble des arguments en défense présentés en première instance ; qu’en particulier, il soutient avoir transmis des pièces montrant que le comptable ne pouvait ignorer que M. Y était gérant de la SCI « Les Lauriers » ;

Attendu que s’il est établi que la chambre régionale des comptes n’a pas directement répondu à ce grief, celui-ci concernait une période non comprise dans le réquisitoire, lequel ne portait que sur des faits postérieurs au 1 er  janvier 2006 ;

Attendu, en second lieu, que M. Y soutient que le caractère occulte du montage objet de la présente affaire ne figurait pas au nombre des griefs soulevés par le réquisitoire qui n’aurait visé que «  la location d’un bien à une SCI dont le gérant est le directeur général des services  », alors qu’il aurait été retenu par la chambre régionale ;

Attendu, outre qu’il n’est pas repris explicitement dans les conclusions de la requête, que ce grief manque en fait ; que le réquisitoire qualifie les opérations de «  montage  » par le biais de mandats fictifs et «  d’extraction irrégulière de fonds publics  », expressions qui toutes deux recouvrent la notion de gestion occulte ;

Attendu qu’il n’y a lieu de relever d’office aucun moyen de nature à constater l’irrégularité de la procédure devant les premiers juges ;

Sur le fond

Sur le droit applicable

Attendu que la constatation et l’apurement des gestions de fait sont régis par le XI de l’article 60 modifié de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963 susvisée qui dispose : «  Toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous contrôle et pour le compte d’un comptable public, s’ingère dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d’un poste comptable ou dépendant d’un tel poste doit, nonobstant les poursuites qui pourraient être engagées devant les juridictions répressives, rendre compte au juge financier de l’emploi des fonds ou valeurs qu’elle a irrégulièrement détenus ou maniés. / Il en est de même pour toute personne qui reçoit ou manie directement ou indirectement des fonds ou valeurs extraits irrégulièrement de la caisse d’un organisme public et pour toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public, procède à des opérations portant sur des fonds ou valeurs n’appartenant pas aux organismes publics, mais que les comptables publics sont exclusivement chargés d’exécuter en vertu de la réglementation en vigueur. / Les gestions de fait sont soumises aux mêmes juridictions et entraînent les mêmes obligations et responsabilités que les gestions régulières. Néanmoins, le juge des comptes peut, hors le cas de mauvaise foi ou d’infidélité du comptable de fait, suppléer par des considérations d’équité à l’insuffisance des justifications produites. / Les comptables de fait pourront, dans le cas où ils n’ont pas fait l’objet pour les mêmes opérations des poursuites au titre du délit prévu et réprimé par l’article 433-12 du Code pénal, être condamnés aux amendes prévues par la loi.  » ;

Attendu que toute personne déclarée comptable de fait doit donc justifier devant le juge des comptes de la régularité des opérations de recettes et de dépenses qu’elle a effectuées dans le cadre de la gestion de fait, au regard des dispositions des articles 12 et 13 du règlement général sur la comptabilité publique applicable jusqu’au 11 novembre 2012 et des articles 19 et 20 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique à compter du 12 novembre 2012 ;

Sur les faits

Attendu que le conseil municipal d’Epinal a, par délibération du 28 septembre 2000, décidé du principe de l’octroi d’un logement de fonction au directeur général des services de la ville par nécessité absolue de service, sur le fondement de l’article 21 de la loi n° 90-1067 du 28 novembre 1990 relative à la fonction publique territoriale,applicable auxcommunes de plus de 5 000 habitants qui dispose : «  Les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics fixent la liste des emplois pour lesquels un logement de fonction peut être attribué gratuitement ou moyennant une redevance par la collectivité ou l'établissement public concerné, en raison notamment des contraintes liées à l'exercice de ces emplois. / (…) / La délibération précise les avantages accessoires liés à l'usage du logement. / Les décisions individuelles sont prises en application de cette délibération par l'autorité territoriale ayant le pouvoir de nomination. » ; que ladite délibération a été renouvelée le 30 avril 2009 ;

Attendu que par contrat du 27 septembre 2001, M. Y a été recruté en qualité de directeur général des services de la ville d’Epinal pour une durée d’un an à compter du 1 er  octobre suivant ; que M. Y occupait alors un logement lui appartenant, situé en dehors d’Epinal ; qu’il n’avait pas demandé à bénéficier d’une concession de logement ; que depuis 1993 et jusqu’au 27 septembre 2001, M. Y, était directeur des services techniques de la même collectivité ; que le contrat a été renouvelé pour une durée de trois ans les 9 septembre 2002, 11 janvier 2005 avec date d’effet au 1 er janvier précédent, 22 janvier 2008 et 4 janvier 2011 ; que selon les informations recueillies à l’instruction, M. Y serait toujours à la tête des services de la Ville d’Epinal à la date de clôture de celle-ci ;

Attendu qu’un contrat de location établi en application de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, a été signé le 6 août 2002, entre la ville d’Epinal représentée par son maire et la SCI « Les Lauriers », sans désignation de son gérant que ce soit de manière impersonnelle ou nominative ; que l’objet de ce bail était la location d’un bien immobilier situé 17, rue des Fusillés de la résistance à Epinal ; que le contrat stipulait expressément «  Le bien est loué exclusivement à l’usage d’habitation à destination du directeur général des services de la ville d’Epinal.  » ; que la durée du bail était de six ans renouvelables, à compter du 15 août 2002 : que ledit bail a été tacitement reconduit le 15 août 2008 ;

Attendu que la société civile immobilière « Les Lauriers » au capital de 1 000 € a été constituée entre M. et Mme Y et Z, par acte authentique passé devant Me Villemin notaire à Epinal, le 7 août 2002 ; que le siège de la SCI a été fixé 17, rue des fusillés de la Résistance à Epinal ; que M. Y a été nommé gérant de la SCI pour une durée illimitée, les statuts prévoyant que cette fonction ne serait pas rémunérée ; que l’acte a été enregistré à la recette principale d’Epinal le 20 août 2002 ; que lesdits statuts ont été déposés le 20 septembre 2002 au greffe du tribunal de commerce d’Epinal ; qu’un extrait « K bis » avait été délivré à Me Villemin le 12 septembre 2002 ; que l’objet de cette société était : «  l’administration et l’exploitation par bail, location ou autrement de tous biens et droits immobiliers dont elle serait ou pourrait devenir propriétaire ultérieurement, par voie d’acquisition, échange, apport ou autrement ; / éventuellement, l’aliénation d’un ou des immeubles de la société, au moyen de vente, échange ou apport en société ; / la prise de participation dans toutes sociétés civiles ou commerciales ; / la gestion des titres, droits sociaux et valeurs mobilières constituant son patrimoine ; / et généralement toutes opérations quelconques pouvant se rattacher directement ou indirectement à l’objet ci‑dessus défini, pourvu que ces opérations ne modifient pas le caractère civil de la société.  » ;

Attendu que par acte authentique passé devant Me Villemin le 12 août 2002, la SCI « Les Lauriers » acquérait un ensemble immobilier à usage d’habitation situé 17, rue des fusillés de la Résistance à Epinal ; que l’acte contenait dans ses énonciations l’identité des associés et du gérant de la SCI ainsi que le rappel de l’existence du mandat spécial réglementaire autorisant M. Y à engager la SCI dans l’attente de son immatriculation au registre du commerce ; que l’acte était enregistré au bureau des hypothèques d’Epinal le 10 octobre 2002 ;

Attendu que par arrêté du 30 août 2002 signé de l’adjoint au maire chargé du personnel municipal, M. Y se voyait concéder par nécessité absolue de service à compter du 1 er  septembre 2002 un logement situé 17, rue des fusillés de la Résistance à Epinal ; que l’arrêté rappelait le caractère éminemment précaire et révocable de la concession, moyennant un préavis de six mois ;

Attendu que les pièces jointes au dossier attestent qu’à compter du 1 er septembre 2002, M. Y a cessé de bénéficier de l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS) et d’un complément indemnitaire de même montant pour un total de 223 € mensuels environ ; qu’à compter de la même date, son bulletin de salaire porte la mention d’un avantage en nature « logement » valorisé à 314,30 € mensuels dans ses bulletins de salaires pour 2002 ; que cet avantage était valorisé à 743,50 € dans les copies des derniers bulletins de salaires présents au dossier (année 2010) ;

Attendu qu’au cours de l’année 2009, la presse locale a critiqué les conditions de logement du directeur général des services et l’affaire a été débattue en conseil municipal le 25 juin 2009 ; que la consultation de l’annuaire téléphonique indique que M. Y serait toujours domicilié à la même adresse ;

Sur les moyens d’appel invoqués

Attendu que les premiers juges ont fondé la qualification de la gestion de fait sur l’extraction irrégulière de deniers communaux, à travers un montage juridique permettant de verser au directeur général des services un complément de rémunération, au moyen du détournement de son affectation d’origine d’une dépense de loyers ; qu’ils ont en effet estimé, en premier lieu, que compte tenu de l’identité de ses associés, la SCI « Les Lauriers » ne pouvait être tenue pour avoir fait écran entre le locataire et le bailleur et, en second lieu, que dès lors que le directeur général des services était propriétaire du local, qui lui était par ailleurs concédé à fin de logement par nécessité absolue de service, les loyers perçus étaient en réalité un complément de rémunération irrégulier ;

Attendu que les griefs des appelants peuvent-être regroupés dans les six moyens suivants :

Sur un précédent examen de la gestion par la chambre régionale

Attendu, en premier lieu, que les appelants tirent argument du fait que la chambre régionale n’aurait pas formulé d’observations lors d’un précédent contrôle pour estimer qu’elle n’était pas fondée à critiquer les conditions de logement du directeur général des services lors d’un contrôle ultérieur ;

Attendu que sous réserve des règles de prescription et de l’autorité de la chose jugée, l’absence d’observation critique sur un élément de la gestion d’une collectivité contrôlée pour une période donnée, ne préjuge en rien des observations pouvant éventuellement être formulées sur une autre période, y compris sur des faits analogues ou sur les mêmes éléments matériels ; qu’au surplus, depuis le contrôle de la commune d’Epinal en 2008, la réforme des procédures contentieuses devant le juge des comptes a établi un monopole des poursuites en faveur du ministère public ; que c’est celui-ci qui a ouvert la présente procédure ; que la chambre régionale des comptes avait l’obligation de statuer sur les faits qui lui étaient soumis ; que, par suite, ce moyen ne peut être accueilli ;

Sur le champ d’application du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP)

Attendu, en deuxième lieu, que selon M. X, les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) ne seraient pas applicables aux opérations de concession de logement n’appartenant pas à la collectivité publique ;

Attendu que le CGPPP a été promulgué au 1 er juillet 2006 ; que son article L. 1 prévoit qu’il s’applique également aux collectivités territoriales ; que ses articles L. 4121-1 et R. 2222-18 autorisent la concession de logements dont la personne publique a la jouissance ou appartenant au domaine privé, dans les conditions régissant les concessions de logements appartenant au domaine public ; que par ailleurs, le code général des collectivités territoriales, dans son article R. 2511-4, ne connaît des concessions de logement aux agents publics que pour les dispenser du droit commun de l’attribution de logements propriétés d’une municipalité ; qu’il s’ensuit que ce moyen manque en droit ;

Sur la transparence de la SCI « Les Lauriers »

Attendu, en troisième lieu, que tant M. X que M. et Mme Y et Z et la SCI « Les Lauriers » soutiennent que le bailleur du logement étant la SCI « Les Lauriers », il ne peut être affirmé que la ville d’Epinal a loué le logement à M. Y ;

Attendu que la SCI ayant pour seuls associés M. et Mme Y et Z à parts égales et M. Y en étant le gérant, la chambre régionale des comptes a fait une exacte application de la théorie de la transparence visant à s’assurer de l’indépendance d’une personne morale venant s’interposer entre la personne publique et le bénéficiaire d’un paiement ; que si cette théorie s’applique habituellement aux relations entre une personne publique et une personne morale, il est clair, au cas d’espèce, que tant l’identité des associés de la SCI que celle de son gérant rendaient impossible l’existence d’une autonomie de cette personne morale vis‑à‑vis des époux Y et Z ; que par ailleurs, les écritures de M. et Mme Y et Z et de la SCI à l’appui de la demande de sursis cherchaient à établir que des difficultés financières étaient à redouter en cas d’application du jugement ; que pour ce faire, ils faisaient masse de l’intégralité des loyers reçus de la municipalité par la SCI et de leurs revenus personnels ; qu’enfin, dans la mesure où ni le gérant de la SCI ni ses associés n’étaient identifiés dans le contrat de bail, celle-ci a effectivement servi d’écran ne permettant pas au comptable public de présumer que les bailleurs étaient M. et Mme  Y et Z ; qu’il s’ensuit que ce moyen ne peut pas être accueilli ;

4)  Sur la dénaturation alléguée des faits relatifs à la suppression de l’IFTS

Attendu en quatrième lieu que, selon M. et Mme Y et Z, la chambre régionale aurait dénaturé les faits en qualifiant «  d’aveu de la gestion occulte  » le fait que la concession de logement ait entraîné suppression de l’IFTS ;

Attendu, que le jugement entrepris relève d’une part, «  que M. Y a cessé de bénéficier, à la suite de l’attribution de la concession de logement, de l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires et de l’enveloppe indemnitaire dont il bénéficiait à hauteur de 223,24 € mensuels, il a toutefois perçu, par l’intermédiaire de la SCI, une somme de 950 € mensuels en raison du loyer versé, aujourd’hui porté à 1 200 € du fait de son indexation sur l’évolution de l’indice du coût de la construction puis de l’indice de référence des loyers ; / Considérant, en conséquence, que ce dispositif a eu pour objet et pour effet d’accorder à M. Y par l’intermédiaire de la SCI des Lauriers, un avantage financier équivalent à un complément de traitement à hauteur du loyer mensuel ;  » que ces énonciations de faits suivies de leur qualification ne sauraient être tenues pour la reconnaissance d’un aveu de M. X à propos de la suppression de l’IFTS et du complément indemnitaire ; que, d’autre part, en réponse à l’argumentation de M. Y visant à montrer «  qu’il aurait pu bénéficier, en l’absence de concession de logement, du versement d’indemnités d’astreinte et de la prime de permanence et disposer ainsi, d’une rémunération supplémentaire pouvant aller jusqu’à 2 000 euros mensuels  », les premiers juges ont relevé que «  cet argument est sans incidence sur la qualification juridique des faits, à savoir l’extraction irrégulière des deniers de la commune  » et que «  M. Y reconnaît, ainsi, implicitement que le dispositif mis en œuvre avait pour objet de lui attribuer un complément de rémunération  » ; que ces énonciations ne sont pas inexactes et, en tout état de cause, ne mentionnent pas la suppression du service de l’IFTS ; qu’il s’ensuit que ce moyen manque en fait ;

5)    Sur de précédents contrôles administratifs et financiers

Attendu en cinquième lieu, que les requérants reprochent à la décision attaquée de ne pas avoir tiré de conséquences de l’absence de réaction des autorités chargées des contrôles administratifs et financiers ;

Attendu, s’agissant du silence de l’autorité préfectorale qui aurait, selon les appelants valu approbation du dispositif, que le jugement relève à bon droit que «  dans l’exercice de ses compétences juridictionnelles, (la chambre régionale) n’est pas liée par le contrôle de légalité que le représentant de l’Etat a pu exercer par ailleurs à l’égard de certains actes de la Ville d’Epinal  » ;

Attendu, s’agissant des contrôles dévolus au comptable public que les requérants allèguent que le comptable, d’une part, aurait disposé des éléments nécessaires avec l’extrait « K bis » du registre du commerce et des sociétés lui permettant d’identifier les personnes composant les organes sociaux de la SCI et, d’autre part, n’aurait pu ignorer depuis 2009 la réalité des conditions de logement de M. Y;

Attendu tout d’abord que les paiements effectués par les comptables publics ne présument pas de la régularité intrinsèque des opérations qu’ils soldent ; que le comptable est personnellement et pécuniairement responsable des conséquences de la méconnaissance de ses obligations de contrôle définies par l’article 60 susvisé de la loi de finances pour 1963 ainsi que, à l’époque des faits par les dispositions des articles 12 B et 13 du règlement général sur la comptabilité publique applicable pour l’essentiel de la période concernée et des articles 19 et 20 du décret du 7 novembre 2012 susvisé à compter du 12 novembre 2012 ; que cette responsabilité est strictement limitée au respect de ces obligations légales et réglementaires ; que la dissimulation au comptable public de l’objet réel d’une dépense, notamment, en ne lui soumettant pas avec les justifications réglementaires la description complète du dispositif associé, ne rend pas régulier l’objet de la dépense, du seul fait qu’au vu des justifications produites le comptable était en droit d’ouvrir sa caisse ; qu’il s’ensuit que le fait qu’il ait continué à payer dans des conditions n’ayant pas donné lieu à engagement de sa responsabilité ne suffit pas à exonérer les bénéficiaires des paiements de leur propre responsabilité, s’ils doivent en encourir une ;

Attendu que comme il a été dit ci-dessus, la seule production d’un relevé d’identité bancaire satisfaisait les exigences de la nomenclature des pièces s’agissant de l’identification du créancier ; qu’à la supposer avérée, la production du « K bis » de la SCI n’aurait pas obligé à elle seule le comptable à cesser le paiement ;

Attendu que les appelants soutiennent en outre qu’une campagne de presse locale et des débats au conseil municipal auraient, dès 2009, nécessairement eu pour conséquence d’informer le comptable public de la totalité du dispositif ;

Attendu que les contrôles du comptable public ne peuvent se fonder sur la notoriété des situations de fait mais sur la seule régularité des dépenses, au regard des pièces justificatives présentées à l'appui des mandats ; que les mandats de paiement des loyers étaient appuyés sur les justifications réglementaires ; qu’au surplus, le comptable ne pouvait inférer de la suspension du paiement de l’IFTS et d’un complément indemnitaire à M. Y qu’il était le propriétaire du logement qui lui était concédé ; qu’il s’ensuit que l’ensemble du moyen pris en ses deux branches ne peut être accueilli ;

 6) Sur un précédent arrêt contraire de la Cour des comptes

Attendu, en sixième lieu, que les appelants estiment que l’opération critiquée était régulière ; que ce moyen s’appuie principalement sur l’arrêt de la Cour des comptes du 19 octobre 2006, « Syndicat intercommunal d’assainissement de Bellecombe » qui aurait selon eux, définitivement écarté toute possibilité de déclaration de gestion de fait associée à un tel dispositif ;

Attendu que ce moyen se divise en trois branches : la concession d’un logement à son propriétaire ne serait pas interdite, le montant du loyer payé ne laisserait pas augurer une sur-rémunération et, enfin, il ne ressortirait pas des éléments du dossier que l’ensemble de l’opération aurait présenté un caractère occulte ;

Attendu, en ce qui concerne la première branche, qu’il n’existe effectivement aucune disposition législative ou réglementaire prohibant de manière expresse la concession d’un logement à un agent qui en serait par ailleurs le propriétaire bailleur ;

Attendu cependant que les premiers juges ont relevé à bon droit que M. Y n’avait à supporter aucune des contraintes associées à la concession de logement, notamment en termes de précarité ; que si la collectivité supporte un coût quand elle concède un logement de fonction, elle bénéficie en contrepartie d’un intérêt pour la bonne marche du service qui ne saurait exister, si l’agent se loge déjà par ses propres moyens ; qu’en outre, l’avantage en nature constitué par l’absence de paiement de loyer comme de charges locatives ne comporte pas en l’espèce la contrepartie de la précarité liée à l’occupation d’un logement qui doit cesser avec la cessation des fonctions ;

Attendu en effet que si le bail stipule qu’il a pour objet exclusif de fournir un logement concédé par nécessité absolue de service au directeur général des services de la commune, il permet au bailleur de le dénoncer, pour reprise du bien au bénéfice de l’un des membres de la SCI ou pour la vente dudit bien ; qu’ainsi bien que la concession de logement par nécessité absolue de service consentie à M. Y soit théoriquement révocable à la date de fin d’exercice de ses fonctions, l’arrêté concédant le logement prévoyait un préavis de six mois équivalent à celui dont disposait la SCI pour dénoncer le bail, au cas où l’un de ses membres aurait souhaité occuper le local ;

Attendu qu’il découle de ce qui précède qu’en sa double qualité d’associé de la SCI et de directeur général des services, M. Y s’était, contrairement à ce qu’il allègue, prémuni contre tout risque d’éviction ; que dès lors la condition de précarité mentionnée dans la décision attribuant le logement de fonctions revêtait un caractère fictif ;

Attendu, en ce qui concerne la deuxième branche, que contrairement à ce que soutiennent M. et Mme Y et Z et la SCI « Les Lauriers », M. Y tire un bénéfice de l’opération, les loyers perçus étant supérieurs aux indemnités auxquelles il ne pouvait plus prétendre, la circonstance qu’il aurait pu bénéficier, s’il n’avait pas été logé, d’indemnités d’astreintes manquant en fait, notamment parce qu’il ne percevait pas de telles indemnités lorsque le logement lui a été concédé ;

Attendu que M. et Mme Y et Z et la SCI « Les Lauriers » ne sont pas recevables à soutenir sans contradiction que le loyer payé par la commune était inférieur au prix du marché, et qu’il n’existait pas d’offre pour un bien de ce type sur le marché locatif d’Epinal ; qu’en tout état de cause, le montant de loyers pouvant être obtenus pour ce bien, selon les appelants, n’est pas justifié par un dire d’expert ;

Attendu qu’à la supposer fondée, l’allégation des mêmes selon laquelle la SCI serait déficitaire est sans incidence sur la régularité des opérations critiquées ;

Attendu, enfin, que le bilan économique pour M. et Mme Y et Z et la SCI « Les Lauriers » de l’ensemble du dispositif contractuel et réglementaire doit prendre en compte la prise en charge intégrale par la collectivité des charges locatives et autres avantages, venant accroître les montants profitant effectivement au concessionnaire ;

Attendu qu’il peut être déduit des deux premières branches du sixième moyen que pour un logement concédé par nécessité absolue de service, dès lors que la condition de précarité manque en fait, la concession a nécessairement pour objet de conférer un avantage pécuniaire au bénéficiaire de la concession ; qu’il est constant qu’un tel avantage pécuniaire n’est régi par aucun texte législatif ou réglementaire et se trouve nécessairement avoir été octroyé en méconnaissance des dispositions combinées des articles 20 de la loi du 13 juillet 1983, 87 de la loi du 26 janvier 1984 et 2 du décret n° 85-730 du 17 juillet 1985 susvisés ;

Attendu que la troisième branche du sixième moyen développe les mêmes griefs s’agissant de l’intervention du contrôle de légalité et du comptable public et qu’il y a été répondu lors de l’examen du cinquième moyen ;

Attendu qu’il résulte de tout ce qui précède que l’ensemble des opérations critiquées a bien constitué une extraction irrégulière de fonds publics et que c’est à bon droit que la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne, Lorraine les a qualifiées de gestion de fait des deniers de la commune d’Epinal ;

Sur les personnes mises en cause

Attendu que le jugement entrepris a déclaré gestionnaires de fait le maire d’Epinal, M. X, M. Y et Mme Z et la SCI « Les Lauriers » ;

Attendu que M. X, M. et Mme Y et Z et la SCI « les Lauriers » n’apportent aucun élément de nature à faire apparaître qu’ils n’ont pas agi de manière concertée et en pleine connaissance de cause en vue de mettre en place le montage des opérations litigieuses ; qu’il y a donc lieu de confirmer, à leur encontre, la décision des premiers juges ;

Par ces motifs,

DÉCIDE :

Article 1 er : Les requêtes formées, d’une part, par M. X et, d’autre part, par M. Y et Mme Z et la SCI « Les Lauriers » contre le jugement n° 2013-0005 du 24 avril 2014 rendu par la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne, Lorraine sont jointes.

Article 2:Lesdites requêtes sont rejetées.

Fait et jugé par en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Jean-Philippe Vachia , président de chambre, président de la formation ; M. Yves  Rolland , président de section, Mme Anne Froment-Meurice , présidente de chambre maintenue en activité, MM.  Jean-Pierre Lafaure , Franc-Gilbert BANQUEY,  
Jean-Yves Bertucci , Francis CAHUZAC, Olivier ORTIZ, conseillers maîtres et Mme Isabelle Latournarie-Willems , conseillère  maître.  

En présence de Mme Valérie GUEDJ, greffière de séance.

    Valérie GUEDJ

                  Jean-Philippe VACHIA

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-15 du même code.

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