COUR DES COMPTES - Quatrième Chambre - Arrêt d'appel - 14/12/2017

COUR DES COMPTES - Quatrième Chambre - Arrêt d'appel - 14/12/2017

Syndicat mixte du développement durable de l'Est Var pour traitement et la valorisation des déchets ménagers (SMIDDEV) (Var) - Appel d'un jugement de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur - n° S-2017-3761

La Cour,

Vu les requêtes enregistrées respectivement les 28 et 30 juillet 2014 au greffe de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur, par lesquelles MM. X et Y, comptables du Syndicat mixte de développement durable de l’Est Var pour le traitement et la valorisation des déchets ménagers (SMIDDEV), ont élevé appel du jugement n° 2014-0004 du 16 juin 2014 par lequel ladite chambre régionale les a constitués débiteurs du SMIDDEV pour les sommes de 7 841 082,04 € et 9 238 411,19 €, majorées des intérêts de droit à compter des 27 et 31 décembre 2013 ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l'article 60 de la loi de finances de 1963 modifié ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;

Vu le rapport de M. Jean-Pierre LAFAURE, conseiller maître, chargé de l’instruction ;

Vu la décision du 17 octobre 2017 désignant M. Nicolas HAUPTMANN, auditeur, pour présenter le rapport en audience publique ;

Vu le mémoire de M. Y du 27 février 2015 ;

Vu le mémoire de M. X du 6 novembre 2017 ;

Vu les conclusions n° 792 du Procureur général du 9 novembre 2017 ;

Entendu, lors de l’audience publique du 16 novembre 2017, M. HAUPTMANN, en la présentation du rapport de M. LAFAURE, Mme Loguivy ROCHE, avocate générale, en les conclusions du ministère public, MM. X et Y, comptables appelants, informés de l’audience , n’étant ni présents ni représentés  ;

Après avoir entendu en délibéré Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, réviseure, en ses observations ;

Attendu que, par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur a considéré que MM. X et Y avaient payé de 2009 à 2011 à un délégataire de service public, des sommes indues à deux titres ; qu’elle leur a fait grief en premier lieu de ne pas avoir contrôlé la validité des créances, en l’absence à l’appui des mandats de paiements, d’avenants prorogeant la convention de délégation de service public pour le traitement des déchets conclue le 31 décembre 2002 entre le SMIDDEV et le délégataire pour une durée de six ans, et donc expirée à la date des paiements ; qu’en second lieu, elle a retenu à leur charge le fait de ne pas avoir contrôlé l’exactitude des calculs de liquidation, en faisant application d’une assiette de rémunération erronée en faveur du délégataire, ne distinguant pas les parts exploitation et investissement ; qu’elle les a donc constitués débiteurs du SMIDDEV pour les sommes respectives de 7 841 082,04 € et 9 238 411,19 €, majorées des intérêts de droit à compter des 27 et 31 décembre 2013 ;

Attendu que M. X demande que soit infirmé le jugement en ce qu’il l’a constitué débiteur du SMIDDEV ;

Attendu que M. Y demande également l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a constitué débiteur du SMIDDEV ou, qu’à défaut, ce jugement soit infirmé afin que le montant du débet soit ramené à la différence entre les sommes indûment payées et les sommes qui auraient dû être payées ;

Sur la jonction des requêtes

Attendu que les requêtes des deux comptables sont élevées contre un même jugement et se fondent, en partie, sur des moyens identiques ; qu’il y a donc lieu de les joindre ;

Sur le manquement

Attendu que M. X, s’agissant du défaut de contrôle de la production des pièces justificatives, considère qu’on ne peut inférer une absence de contrôle de l’absence de référence aux avenants sur les factures ou du défaut de leur production à l’appui des mandats, car les dossiers de marchés publics comportent nécessairement les avenants et que d’ailleurs ceux-ci ont été produits au cours de l’instruction de première instance ; qu’il ne conteste pas cependant que les mandats n’étaient pas accompagnés des avenants et n’apporte aucun élément de preuve de leur production effective à la date des paiements ; que ce moyen doit donc être rejeté ;

Attendu que M. Y allègue que c’est à tort que le jugement entrepris dispose que les pièces justificatives auraient dû être jointes au premier mandat et que cette absence entache la dépense d’irrégularité, dans la mesure où les dispositions du code général des collectivités territoriales (CGCT) en la matière trouveraient à s’appliquer pour les seuls marchés publics et non pour les délégations de service public ; que ce moyen, présenté dans le mémoire complémentaire susvisé du 27 février 2015, a été produit hors du délai d’appel ; qu’il est, en conséquence, irrecevable ;

Attendu que M. X fait valoir, en ce qui concerne l’assiette erronée de la rémunération du délégataire, que le prix prévu par le contrat de délégation du 31 décembre 2002, bien que comportant une part «  investissement  » et une part «  exploitation  », est un prix forfaitaire unitaire constituant un tarif global qui trouve à s’appliquer dans les avenants n° 1, 2 et 4, quand bien même ces avenants n’auraient comporté aucune disposition autre qu’une augmentation du volume des déchets à traiter ; qu’il s’agit, selon lui, d’un tarif unique, facturé comme tel, que le syndicat n’a jamais considéré autrement et non d’un binôme comme mentionné dans le jugement entrepris ou d’un tarif décomposé ; que M. X précise, notamment dans son mémoire complémentaire susvisé, que c’est d’ailleurs le tarif global sans distinction entre les deux lignes investissement et exploitation qui a servi de fondement à l’élaboration de la convention de délégation du service public qui aurait dû succéder à celle sur la base de laquelle les paiements ont été effectués ; qu’il souligne que les avenants de prorogation du contrat de délégation y faisaient référence sans ambiguïté ;

Attendu qu’il résulte de l’article 12 relatif aux conditions financières du contrat de délégation de service public, non modifié dans son dispositif par les avenants n° 1, 2 et 4 applicables aux paiements incriminés que trois tarifs hors taxe à la tonne étaient prévus, variant selon la nature du client, de 50,16 € pour les collectivités membres et non membres du syndicat à 62,74 € pour les autres clients ; que ces trois tarifs à la tonne sont ensuite présentés taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et surtaxe comprises dans un tableau qui détaille une part amortissement d’un montant de 21,07 € et une part exploitation variable selon la nature du client mais égale à 29,09 € pour les collectivités territoriales, soit 50,16 € ; que par ailleurs l’article précise que «  les prix unitaires pratiqués sont déterminés sur la base d’un compte prévisionnel d’exploitation annexé à la présente convention » ; qu’ainsi il ressort du texte même du contrat de délégation de service public que les prix par type de client figurant dans le tableau sont des prix unitaires ; que s’il revenait au comptable de vérifier la liquidation au regard du type de client figurant dans le tableau et des conditions de révision de la part exploitation du prix, seule possible, il ne lui incombait pas de décider de n’appliquer qu’une partie du prix ; que ce moyen peut en conséquence être accueilli ;

Attendu que M. Y fait valoir à titre principal, pour contester que le paiement des factures du délégataire sur la base du tarif global retenu, soit constitutif d’un manquement de sa part, que la convention de délégation de service public et ses avenants forment un dispositif contractuel exécutoire qui maintenait les conditions de rémunération initiales du délégataire et qu’il n’appartenait pas au comptable de discuter l’un des éléments de ce tarif global, le contrat faisant la loi des parties ;

Attendu qu’il ressort de l’examen des pièces à l’appui du dossier que les avenants n° 1 et 2 prorogeant la convention jusqu’au 31 mars 2009, puis jusqu’au 31 décembre 2009 et augmentant les tonnages de déchets à traiter ne comportent en effet aucune disposition particulière relative aux conditions financières et précisent simplement que le reste de la convention demeure applicable sans modification ; que l’avenant n° 4, lui, prolongeant la convention de deux ans, modifie le quantum des conditions financières en augmentant de 3 euros le tarif HT du traitement des déchets ménagers, pour tenir compte des investissements supplémentaires engagés par le délégataire ; qu’ainsi les conditions tarifaires ont été maintenues durant un an, puis améliorées à hauteur de 3 euros par tonne pour les deux années suivantes par des avenants signés avant la prise en charge des mandats par les comptables successifs ; que c’est à bon droit en conséquence que le requérant souligne que le comptable ne pouvait se substituer à l’ordonnateur pour interpréter la convention et déterminer quelles conditions tarifaires devraient s’appliquer, compte tenu des stipulations initiales du contrat, du niveau des investissements réalisés par le délégataire ou de la durée sur laquelle ils devaient être amortis, sans procéder à un contrôle de légalité ; que ce moyen peut en conséquence être admis ;

Attendu que les comptables font valoir également que le poste comptable a été confronté à des difficultés de fonctionnement et à un contexte particulièrement difficile ;

Attendu que de telles difficultés ne sauraient exonérer les comptables de leurs responsabilités ; qu’à défaut de pouvoir être évoquées devant le juge d’appel, elles sont, en revanche, de nature à être produites, le cas échéant, à l’appui d’une demande de remise gracieuse de débet ;

Attendu qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la chambre régionale des comptes a commis une erreur de droit en constituant en débet MM. X et Y pour avoir manqué à leur obligation de contrôle de l’exactitude des calculs de liquidation lors de la prise en charge des mandats de paiement de la rémunération du délégataire au titre de ses prestations de traitement des déchets ; qu’il convient en conséquence d’infirmer à ce titre le jugement susvisé et par l’effet dévolutif de l’appel, de décider qu’il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire des deux comptables ;

Attendu qu’en revanche, le manquement des deux comptables à leur obligation de contrôle de la production des justifications à l’appui des paiements desdites prestations est établi, dans la mesure où la convention de délégation produite à l’appui des mandats était caduque depuis le 31 décembre 2008 et que n’étaient pas joints les avenants la prorogeant ; qu’il y a lieu, en conséquence de mettre en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire de MM. X et Y à ce titre ;

Sur le préjudice financier

Attendu que si la chambre régionale des comptes a décidé dans le jugement susvisé de l’existence d’un préjudice financier aux dépens du SMIDDEV, elle le retenait à partir du double manquement qu’elle avait établi pour défaut de contrôle de la production des pièces justificatives et de l’exactitude des calculs de liquidation ; que le manquement du fait de l’absence de contrôle de l’exactitude des calculs de liquidation ayant été infirmé, il y a lieu de statuer sur les conséquences du seul manquement constitué par le défaut de contrôle de la production des justifications ;

Attendu que, dans la mesure où des avenants signés antérieurement aux paiements ont été produits au juge des comptes, le défaut de contrôle de la production des justifications n’est pas de nature à causer un préjudice financier à l’organisme concerné ; qu’il y a lieu en conséquence d’infirmer également à ce titre le jugement de la chambre régionale des comptes et, par l’effet dévolutif de l’appel, de statuer sur l’application éventuelle aux  deux comptables, du fait de leur manquement, des termes du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, selon lesquels « … Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme public concerné, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce. Le montant maximal de cette somme est fixé par décret en Conseil d’Etat en fonction du niveau des garanties mentionnées au II … » ;

Attendu que le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 susvisé dispose que «  La somme maximale pouvant être mise à la charge du comptable, conformément au 2 ème alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, est fixée à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré  » ;

Attendu que M. X rappelle dans sa requête le contexte particulier de l’adoption des avenants, affecté par les difficultés de mise en place du logiciel Hélios, la nécessité de contrôler les régies et les pressions liées à l’urgence ; que M. Y demande, dans l’hypothèse où la Cour des comptes retiendrait un manquement à ses obligations de contrôle, de fixer a minima la somme laissée à sa charge, compte tenu des circonstances de cette affaire (en particulier du caractère complexe de la situation) ;

Attendu toutefois, compte tenu de la gravité du manquement au regard des sommes en jeu, qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce, en mettant à la charge des deux comptables, une somme non rémissible maximale de 256 € par exercice, au regard du montant de 171 000 € du cautionnement pour le poste comptable concerné ; que les paiements irréguliers ayant été effectués en 2009 et 2010 par M. X et en 2010 et 2011, par M. Y, la somme à mettre à leur charge s’élève à 512 € ;

Par ces motifs,

DÉCIDE  :

Article 1 er  -  Il y a lieu de joindre les requêtes de M. X et de M. Y.

Article 2 -  Le jugement de la chambre régionale est infirmé en ce qu’il a constitué débiteurs du SMIDDEV, MM. X et Y pour les sommes respectives de 7 841 082,04 € et de 9 238 411,19 €.

Article 3 -  M. X devra s’acquitter de la somme non rémissible de 256 € pour chacun des deux exercices 2009 et 2010, soit d’une somme globale de 512 €, en application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963.

Article 4 -  M. Y devra s’acquitter de la somme non rémissible de 256 € pour chacun des deux exercices 2010 et 2011, soit d’une somme globale de 512 €, en application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963.

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Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Yves ROLLAND, président de section, président de la formation ; Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, MM. Jean‑Yves BERTUCCI, Pierre JAMET, et Olivier ORTIZ, conseillers maîtres.

En présence de Mme Marie-Noëlle TOTH, greffière de séance.

Marie-Noëlle TOTH

Yves ROLLAND

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.

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