COUR DES COMPTES - Première Chambre - Arrêt - 22/05/2018

COUR DES COMPTES - Première Chambre - Arrêt - 22/05/2018

Direction départementale des finances publiques (DDFIP) du Doubs - Service des impôts des entreprises (SIE) de Montbéliard-Sud-Est - Exercice 2009 - n° S-2018-1295

La Cour,

Vu le réquisitoire n° 2017-77-RQ-DB en date 13 décembre 2017, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi ladite Cour de présomptions de charges, en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, comptable du service des impôts des entreprises de Montbéliard-Sud-Est, au titre d’opérations relatives à l’exercice 2009 ;

Vu l’accusé de réception de ce réquisitoire par M. X, daté du 22 décembre 2017, par le directeur départemental des finances publiques du Doubs, daté du 18 décembre 2017 et par le directeur général des finances publiques, daté du 19 décembre 2017 ;

Vu les comptes rendus par le trésorier-payeur général puis par le directeur des finances publiques du Doubs pour les exercices 2005 à 2011, y annexés les états des restes à recouvrer établis en leur qualité de receveur des administrations financières, responsables du service des impôts des entreprises de Montbéliard-Sud-Est par MM. Y, X et Mme Z pour les exercices 2005 à 2011 ;

Vu les justifications produites au soutien des états des restes à recouvrer, ensemble les pièces recueillies au cours de l’instruction ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code général des impôts, ensemble son annexe 3 et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;

Vu le décret n° 77-1017 du 1 er septembre 1977 relatif à la responsabilité des receveurs des administrations financières ;

Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifiée dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificatives pour 2011 ;

Vu les pièces du dossier, notamment le mémoire en défense de M. X en date du 8 janvier 2018 ;

Vu rapport n° R-2018-0325-1 à fin d’arrêt de M. Thierry Savy , conseiller référendaire, magistrat chargé de l’instruction ;

Vu les conclusions n° 236 du Procureur général du 30 mars 2018 ;

Entendu lors de l’audience publique du 10 avril 2018, M. Thierry Savy , en son rapport, M. Bertrand  Diringer , avocat général, en les conclusions du ministère public, M. X, informé de l’audience, n’étant ni présent, ni représenté ;

Entendu en délibéré M. Daniel-Georges COURTOIS, conseiller maître, en ses observations ;

Sur la charge n° 2, soulevée à l’encontre de M. X, au titre de l’exercice 2009 :

Attendu que par le réquisitoire susvisé le Procureur général a estimé que la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X pouvait être mise en jeu, au titre de l’exercice 2009, au motif que le comptable aurait manqué à ses obligations dans le recouvrement de deux créances fiscales de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) des mois d’octobre et de décembre 2007, à hauteur de 10 283 € ;

Sur l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations

Sur la règle de droit

Attendu qu’aux termes de la loi du 23 février 1963 susvisée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes et des contrôles qu’ils sont tenus d’assurer en cette matière dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique ; que leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu’une recette n’a pas été recouvrée ; que la responsabilité du comptable public en matière de recettes s’apprécie au regard de ses diligences, celles-ci devant être adéquates, complètes et rapides ;

Attendu que selon l’article L. 622-17 du code de commerce, dans sa version alors en vigueur, « I. - Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité professionnelle, pendant cette période, sont payées à leur échéance. […] IV. - Les créances impayées perdent le privilège que leur confère le présent article si elles n'ont pas été portées à la connaissance du mandataire judiciaire et de l'administrateur lorsqu'il en a été désigné ou, lorsque ces organes ont cessé leurs fonctions, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur, dans le délai d'un an à compter de la fin de la période d'observation. » ;

Attendu qu’en application de l’article L. 641-3 du code de commerce, s’agissant du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, « les créanciers déclarent leurs créances au liquidateur selon les modalités prévues aux articles L. 622-24 à L. 622-27 et L. 622-31 à L. 622-33 » ;

Attendu qu’en application de l’article L. 622-24 du code de commerce, « à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire » ; que selon l’article L. 622-26 du même code, « à défaut de déclaration dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ou qu'elle est due à une omission volontaire du débiteur lors de l'établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6 […] » ;

Attendu qu’en application de l’article R. 622-24 du même code, « Le délai de déclaration fixé en application de l'article L. 622-26 est de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales » ;

Sur les faits

Attendu qu‘une société à responsabilité limitée (SARL) a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire le 6 juillet 2006, publiée au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) du 18 juillet 2006 ; qu’un plan de continuation a été adopté par jugement du 7 janvier 2008 publié au BODACC le 21 février 2008 ; que la résolution du plan de continuation et la liquidation ont été prononcées par jugement du 21 octobre 2008 publié au BODACC le 17 décembre 2008 ;

Attendu que ladite SARL restait redevable à la date d’ouverture du jugement de liquidation judiciaire de créances de TVA, pour 3 930,89 € au titre d’octobre 2007 et 86 € au titre de décembre 2007 ; que ces créances nées de la poursuite d’activité n’ont pas été produites au passif de l’une ou l’autre des deux procédures ; qu’elles ont été admises en non-valeur par décision du 17 janvier 2011 ;

Sur les éléments apportés à décharge par le comptable

Attendu que M. X fait observer que quand bien même ces créances auraient été déclarées, elles n’auraient pas été recouvrées ;

Attendu que M. X souligne que ces faits remontent à plus de dix ans, rendant difficile le retour sur motifs et les circonstances ; qu’il indique être retraité et n’avoir jamais fait l’objet d’aucun débet juridictionnel ;

Sur l’application au cas d’espèce

Sur la créance d’octobre 2007

Attendu que la créance de TVA d’octobre 2007 avait été mise en recouvrement le 28 novembre 2007 ; qu’il en a été rendu compte pour la première fois dans les états de restes à recouvrer au 31 décembre 2010, produits à la Cour des comptes en 2011 ; que le juge ne peut plus connaître de manquements affectant cette créance, s’agissant d’un réquisitoire notifié postérieurement au 31 décembre 2016 ; qu’il n’y a donc pas lieu à charge à ce titre ;

Sur la créance de décembre 2007

Attendu que la créance de TVA de décembre 2007, d’un montant de 86 €, avait été mise en recouvrement le 29 janvier 2008 ; qu’il en a été rendu compte pour la première fois en 2011, année de son admission en non-valeur ; que le compte de l’année 2011 a été produit à la Cour des comptes en 2012 ; que le juge peut ainsi connaître de manquements affectant cette créance, le réquisitoire ayant été notifié avant le 1 er janvier 2018 ;

Attendu que la Cour n’est pas tenue par les décisions administratives d’admission en non‑valeur dans son appréciation de la responsabilité des comptables ;

Attendu, d’une part, que la créance litigieuse, née postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure de redressement, disposait à ce titre du privilège conféré par l’article L. 622-17 du code de commerce, sous réserve que le comptable porte ladite créance à la connaissance du mandataire judiciaire dans un délai d’un an à compter de la fin de la période d’observation ; que celle-ci est à dater de la publication au BODACC, le 21 février 2008, du jugement du 7 janvier 2008 ; que ce délai expirait le 21 février 2009 ;

Attendu, d’autre part, que le jugement de liquidation du 21 octobre 2008, qui a résolu le plan de continuation, ne constitue pas une conversion, mais a ouvert une nouvelle procédure à la faveur de laquelle la créance litigieuse, non produite lors de la première procédure, pouvait être déclarée comme créance née antérieurement à cette nouvelle procédure, dans le délai de deux mois suivant la publication dudit jugement, intervenue le 17 décembre 2008 ; que ce délai expirait le 17 février 2009 ;

Attendu que le comptable s’étant abstenu d’agir, la créance n’a pu être admise au passif, avec ou sans son privilège ; que la forclusion est intervenue sous la gestion et du fait de M. X ;

Attendu ainsi que M. X a manqué à son obligation de diligences adéquates, complètes et rapides en vue du recouvrement de cette créance ; qu’au stade du constat d’un manquement, le juge ne peut prendre en compte les circonstances de l’espèce ; qu’il y a donc lieu d’engager la responsabilité du comptable au titre de l’exercice 2009, sans qu’y fassent obstacle ni l’ancienneté des faits, non prescrits comme il a été dit, ni le fait que M. X soit désormais retraité, ni l’argument selon lequel il n’aurait jamais été mis en débet par le juge des comptes ;

Sur l’existence d’un préjudice financier

Attendu que le manquement d’un comptable dans les mesures à prendre pour recouvrer une créance cause par principe un préjudice financier à la collectivité publique créancière ; qu’il n’y a absence de préjudice que s’il est établi que celle‑ci n’aurait pas pu être désintéressée quand bien même le comptable aurait satisfait à ses obligations ;

Attendu, au cas présent, qu’il résulte de l’état de reddition des comptes que le Trésor, représenté par le poste comptable concerné, qu’il s’agisse de créances fiscales privilégiées ou non, est, dans l’ordre de priorité, le dernier créancier à avoir été désintéressé lors de la répartition ; qu’il ne l’a été que partiellement, en raison d’une insuffisance d’actif ; que dès lors la déclaration au passif de la créance litigieuse n’aurait pas conduit à ce que le Trésor perçoive une somme supérieure dans le cadre de cette procédure ; que l’Etat n’a ainsi pas subi de préjudice financier du fait du manquement du comptable ;

Attendu qu’aux termes du deuxième alinéa du VI de l’article 60 modifié de la loi susvisée du 23 février 1963, lorsque le manquement du comptable aux obligations fixées par le I du même texte n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme public dont il est le comptable, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce, dans la limite d’un millième et demi du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré, telle qu’elle est fixée par le décret du 10 décembre 2012 susvisé ;

Attendu qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en n’obligeant pas M. X à s’acquitter d’une somme non rémissible ;

Par ces motifs,

DÉCIDE :

Charge n° 2, exercice 2009

Article 1 er.  – Il n’y a pas lieu à charge au titre de la créance d’octobre 2007.

Article 2. – Il n’y a pas lieu à obliger M. X à s’aquitter d’une somme à raison du manquement constaté au titre de la créance de décembre 2007.

Fait et jugé par M. Philippe Geoffroy , président de section, présidant la formation de délibéré ; MM. Daniel-Georges Courtois , Noël Diricq , Bruno
Ory-Lavollée , Christophe Rosenau et Guy  Fialon , conseillers maîtres.

En présence de Mme Marie-Hélène Paris-Varin , greffière de séance.

Marie-Hélène Paris-Varin

Philippe Geoffroy

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.

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