COUR DES COMPTES - Quatrième Chambre - Arrêt d'appel - 06/06/2019

COUR DES COMPTES - Quatrième Chambre - Arrêt d'appel - 06/06/2019

Centre hospitalier de Haguenau (Bas-Rhin) - Appel d'un jugement de la chambre régionale des comptes Grand Est - n° S-2019-1504

La Cour,

Vu la requête enregistrée le 5 février 2018 au greffe de la chambre régionale des comptes Grand Est, par laquelle M. X, procureur financier près ladite chambre, a élevé appel du jugement n° 2017-0017 du 8 décembre 2017 rendu par cette chambre qui a engagé la responsabilité de M. Y, comptable du centre hospitalier de Haguenau et prononcé, conformément aux dispositions du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, une somme non rémissible de 265,50 euros à l’encontre de celui-ci au titre de la charge unique portée par le réquisitoire ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance et notamment le réquisitoire du procureur financier près la chambre régionale Grand Est n° 2016-40 du 20 octobre 2016 ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

Vu l’arrêté du 23 avril 1975 portant attribution d’une prime spéciale de sujétion et d’une prime forfaitaire aux aides-soignants ;

Vu le rapport de M. Patrick Bonnaud , conseiller référendaire, chargé de l’instruction ;

Vu le mémoire en défense du 6 mars 2018 déposé par M. Y, agent comptable du centre hospitalier de Haguenau ainsi que ses observations transmises le 26 avril 2019 ;

Vu les conclusions du Procureur général n° 277 du 9 mai 2019 ;

Entendu lors de l’audience publique du 16 mai 2019, M. Bonnaud , conseiller référendaire, en son rapport, M. Serge BARICHARD, avocat général, en les conclusions du ministère public, les autres parties, informées de l’audience, n’étant ni présentes, ni représentées ;

Entendu en délibéré Mme Catherine DÉmier , conseillère maître, réviseure, en ses observations ;

Attendu quela chambre régionale des comptes Grand Est, après avoir jugé que le comptable du centre hospitalier de Haguenau, en payant des primes spéciales de sujétion et des primes forfaitaires à des aides-soignants de cet établissement public sans disposer de décisions individuelles de l’ordonnateur, avait manqué à ses obligations de contrôle de la production des pièces justificatives, a dit que ce manquement n’avait pas causé de préjudice financier à l’établissement, et prononcé, conformément aux dispositions du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, une somme non rémissible de 265,50 euros à l’encontre de M. Y au titre de la charge unique portée par le réquisitoire ;

Attendu que le procureur financier appelant conteste le raisonnement que la chambre régionale a suivi pour écarter le préjudice financier ; qu’il demande, en conséquence,  l’infirmation du jugement sur ce point et la constitution en débet de M. Y pour la somme
de 537 392,68 euros ;

Attendu que l’appelant fait valoir que, d’une part, même lorsqu’un accessoire de traitement résulte d’un texte règlementaire, c’est la décision individuelle qui attribue la prime qui fonde le droit à la percevoir ; que l’arrêté du 23 avril 1975 constitue la base juridique permettant le versement des accessoires de traitement en cause ; que la faculté d’en bénéficier n’est qu’une possibilité et que leur versement effectif est subordonné à la prise d’une décision individuelle d’attribution sans laquelle l’indemnité n’est pas due ; qu’à défaut de cette décision, le paiement de la prime cause donc un préjudice financier à l’établissement ; que d’autre part, le requérant  estime que la signature par l’ordonnateur des bordereaux de mandats ne permet pas à elle seule d’écarter l’existence de ce préjudice ;

Sur le moyen fondé sur la nécessité d’une décision individuelle

Attendu que le requérant fait valoir que si l’arrêté du 23 avril 1975 ouvre la faculté pour l’ordonnateur d’accorder une prime spéciale de sujétion et une prime forfaitaire aux aides-soignants, leur versement à des agents de l’établissement nécessite de surcroît une décision individuelle de l’ordonnateur ; qu’à défaut de cette décision, les paiements sont indus ;

Attendu qu’en effet, l’article 1 er de l’arrêté du 23 avril 1975 dispose que : « Une prime spéciale de sujétion égale à 10 p. 100 de leur traitement budgétaire brut et une prime forfaitaire mensuelle de 100 F peuvent être attribuées aux aides-soignants des établissements relevant du livre IX du code de la santé publique »; qu’il résulte de la formulation de l’arrêté précité  que l’attribution de ces primes ne revêt pas un caractère automatique et qu’elle doit faire l’objet d’une décision explicite d’accorder ces primes à chacun des aides-soignants concernés ; que cette compétence relève des pouvoirs du directeur du centre hospitalier aux termes de l’article L. 6143-7 du code de la santé publique ; que la nécessité d’une décision individuelle ressort, au demeurant, de la nomenclature des pièces justificatives applicable aux centres hospitaliers qui exige la production à l’appui du paiement des primes et indemnités des personnels non médicaux, une décision individuelle d’attribution prise par le directeur ;

Attendu que le comptable, quant à lui, soutient que la prime qui a été instaurée par voie réglementaire est versée de droit pour le montant fixé par ladite réglementation ce qui écarterait tout manquement de sa part et tout éventuel préjudice financier pour l’établissement ; que cette argumentation ne saurait être accueillie pour les motifs qui viennent d’être indiqués ; que, par ailleurs, sans qu’il soit besoin de s’interroger sur la valeur juridique à accorder à cette circulaire, qu’il ne ressort nullement, contrairement à ce que soutient le comptable, de la lecture de la circulaire du 14 novembre 1975 prise en application de l’arrêté du 23 avril 1975 susvisé que celle-ci aurait entendu rendre obligatoire le versement de ces primes ;

Attendu que les jugements de première instance cités par le procureur financier dans sa requête et par le comptable dans son mémoire ne sauraient lier le juge d’appel ;

Attendu que la référence faite par le comptable à la jurisprudence du Conseil d’État « Grand port maritime de Rouen » ne saurait non plus être retenue ; qu’en effet, cette décision était fondée sur des considérations spécifiques à la commande publique et au contentieux de la validité des contrats qui sont sans lien avec la présente affaire ;

Attendu que le comptable fait valoir que le bulletin de paie, dans lequel figure les primes litigieuses, constituerait un document administratif « librement communicable » et créateur de droit ; que ces arguments sont sans lien avec le régime de responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public ;

Attendu enfin que des décisions individuelles d’attribution ont été signées du directeur en date du 1 er décembre 2016 ; qu’elles ne sauraient avoir de portée rétroactive ; qu’établies « pour l’avenir » , elles sont sans incidence sur les faits de la cause ;

Attendu qu’il y a lieu d’admettre le moyen du requérant fondé sur l’absence de décision individuelle d’attribution de ces primes ;

Attendu, et sans qu’il y ait lieu d’examiner d’autre moyen, qu’il y a donc lieu d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a conclu que le manquement du comptable n’avait pas causé de préjudice financier au centre hospitalier de Haguenau ;

Attendu qu’il appartient à la Cour, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, de statuer sur l’existence d’un préjudice ;

Attendu qu’à défaut d’avoir fait l’objet d’une décision individuelle, les primes versées sont dépourvues de fondement juridique ; que leur paiement a ainsi causé un préjudice financier à l’établissement ;

Attendu que le montant des primes indûment versées a été établi en première instance à la somme de 537 392,68 euros ; que ce montant n’est pas contesté ; qu’il convient, dès lors, de constituer M. Y débiteur envers le centre hospitalier de la somme de 537 392,68 euros, au titre du paiement irrégulier des mandats n° 10088 du 27 janvier 2014, n° 11856 du 24 février 2014, n° 14096 du 25 mars 2014, n° 16681 du 30 avril 2014, n° 19237 du 26 mai 2014, n° 21397 du 24 juin 2014, n° 23807 du 25 juillet 2014, n° 26036 du 25 août 2014, n° 28345 du 24 septembre 2014, n° 30578 du 27 octobre 2014, n° 32758 du 24 novembre 2014, n° 34641 du 18 décembre 2014 imputés au chapitre 64118 « Autres indemnités » ;

Attendu qu’aux termes du VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 modifiée « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; que le premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables correspond à la notification du réquisitoire susvisé du procureur financier, intervenue en l’espèce le 30 novembre 2016 ;

Attendu qu’aux termes du IX de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, modifié, « […] Les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du même VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l’appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes, le ministre chargé du budget étant dans l’obligation de laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa dudit VI » ;

Attendu que M. Y a produit le plan de contrôle applicable au centre hospitalier de Haguenau, approuvé le 7 janvier 2014 par la direction régionale des finances publiques ; que ce plan ne prévoyait pas, en matière de paye, un contrôle sélectif de ces primes ; qu’il en résulte qu’en ne procédant pas au contrôle exhaustif des primes spéciales de sujétion et des primes forfaitaires versées aux aides-soignants du centre hospitalier de Haguenau, le comptable ne s’est pas conformé aux règles d’un plan de contrôle sélectif de la dépense ;

Par ces motifs,

DÉCIDE :

Article 1 er . – Le jugement est infirmé en ce qu’il a considéré que le manquement imputable à M. Y n’a pas causé de préjudice financier au centre hospitalier de Haguenau et mis à la charge de M. Y une somme non rémissible de 265,50 euros.

Article 2. – M. Y est constitué débiteur envers le centre hospitalier de Haguenau, au titre de l’exercice 2014, pour la somme de 537 392,68 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 30 novembre 2016.

Article 3. – Les paiements en cause n’entraient pas dans le cadre d’un plan de contrôle sélectif de la dépense.

Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Jean-Yves BERTUCCI, président de section, président de séance, Mme Catherine DÉMIER, conseillère maître, MM. Yves ROLLAND et Etienne CHAMPION, conseillers maîtres.

En présence de Mme Stéphanie MARION, greffière de séance.

Stéphanie MARION                                                 Jean-Yves BERTUCCI

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.

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