COUR DES COMPTES - Quatrième Chambre - Arrêt d'appel - 19/07/2019

COUR DES COMPTES - Quatrième Chambre - Arrêt d'appel - 19/07/2019

Centre hospitalier de Rouffach (Haut-Rhin) - Appel d'un jugement de la chambre régionale des comptes Grand Est - n° S-2019-1811

La Cour,

Vu la requête, enregistrée le 20 décembre 2017 au greffe de la chambre régionale des comptes Grand Est, par laquelle Mme X, comptable du centre hospitalier de Rouffach du 1 er juillet 2013 au 31 décembre 2014, a élevé appel du jugement n° 2017-0009 rendu le 2 octobre 2017 par lequel ladite chambre régionale a mis à sa charge la somme de 318 131,40 € au titre de l’exercice 2014 ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance, notamment le réquisitoire du procureur financier n° 2016-37 du 27 septembre 2016 ;

Vu le code général des collectivités territoriales, et notamment son article D. 1617-19 ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code de la santé publique, notamment son article L. 6143-7 ;

Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;

Vu le rapport de M. Claude LION, conseiller référendaire, chargé de l’instruction ;

Vu les conclusions n° 382 du 21 juin 2019 de la Procureure générale ;

Entendu, lors de l’audience publique du 4 juillet 2019, M. Claude LION, conseiller référendaire, en son rapport, M. Gabriel FERRIOL, avocat général, en les conclusions du ministère public, les autres parties, informées de l’audience, n’étant ni présentes ni représentées ;

Après avoir entendu en délibéré M. Denis BERTHOMIER, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;

1. Attendu que, par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes Grand Est a mis à la charge de Mme X une somme de 318 131,40 € pour avoir payé des mandats relatifs au versement au personnel non médical du centre hospitalier d’une prime de sujétion spéciale, en l’absence de décisions individuelles d’attribution ou de mentions au contrat ;

2. Attendu que l’appelante demande l’annulation du jugement précité, à raison du non-respect du principe du contradictoire et d’un défaut de motivation, et en ce qu’il a considéré que le manquement qui lui était imputable a causé un préjudice financier à l’établissement ;

3. Attendu que l’appelante demande que soit prononcée une somme non rémissible au titre de ce manquement dont elle considère qu’il n’a pas causé de préjudice financier à l’établissement ;

Sur la régularité de la procédure suivie en première instance

4. Attendu que l’appelante invoque le non-respect du principe du contradictoire ; qu’elle fait valoir qu’une partie seulement des moyens développés par elle à titre subsidiaire sur le caractère non préjudiciable du manquement aurait été discutée dans le rapport à fin de jugement et dans les conclusions du procureur financier, ce qui n’aurait pas permis à la formation de jugement d’apprécier la portée des éléments qu’elle a produits à décharge ;

5. Attendu que l’appelante fait valoir que, s’agissant de l’existence d’un préjudice financier, elle indiquait dans son mémoire en défense du 29 décembre 2016 que les décisions individuelles absentes lors du paiement avaient été produites par l’hôpital postérieurement avec effet rétroactif pour l’exercice 2014 ; qu’elle soulignait que cette régularisation prouvait que l’intention de l’ordonnateur était bien d’accorder ces primes et qu’en conséquence, l’établissement n’avait pas subi de préjudice financier ;

6. Attendu que l’appelante relève que le rapport à fin de jugement et les conclusions du procureur financier n’ont pas discuté le moyen relatif à l’absence de préjudice financier fondé sur les régularisations ainsi intervenues ; qu’elle souligne également que la production des décisions de régularisation n’est évoquée dans le jugement qu’au titre de l’existence du manquement et non au titre du préjudice financier ; que, selon l’appelante, le moyen soulevé par elle en défense selon lequel la production par le centre hospitalier des décisions individuelles en régularisation attestait que l’établissement n’avait pas subi de préjudice financier n’a dès lors pas été examiné par la chambre régionale des comptes Grand Est et qu’il en résulte une violation du caractère contradictoire de la procédure ;

7. Attendu qu’il est exact que ce moyen n’a pas, en tant que tel, été discuté par la chambre régionale dans le jugement entrepris ; qu’il y a donc lieu de faire droit à la requête de l’appelante et d’annuler le jugement n° 2017-0009 du 2 octobre 2017 de la chambre régionale des comptes Grand Est en ce qu’il a été rendu au terme d’une procédure qui n’a pas respecté le principe du contradictoire ;

8. Attendu que l’affaire est en état d’être jugée ; qu’il y a donc lieu pour la Cour de l’évoquer et de statuer sur le réquisitoire susvisé du procureur financier ;

Sur le fond

Sur le manquement

9. Attendu que par réquisitoire n° 2016-37 du 27 septembre 2016, le procureur financier près la chambre régionale des comptes Grand Est a relevé à l’encontre de Mme X, comptable du centre hospitalier de Rouffach, une charge unique relative au paiement d’une prime spéciale de sujétion au personnel non médical, pour un montant total de 318 131,40 €, en l’absence des décisions individuelles du directeur fixant pour chaque agent le montant attribué au titre de l’exercice 2014 ;

10. Attendu que les primes versées aux agents de la fonction publique hospitalière le sont en application de dispositions réglementaires ; qu’il en est ainsi des primes en cause, prévues par l'arrêté du 23 avril 1975 relatif à l'attribution d'une prime spéciale de sujétion et d'une prime forfaitaire aux aides-soignants ; que cet arrêté prévoit qu’ « une prime spéciale de sujétion égale à 10 p. 100 de leur traitement budgétaire brut et une prime forfaitaire mensuelle de 100 F peuvent être attribuées aux aides-soignants des établissements relevant du livre IX du code de la santé publique » ; que toutefois, ces primes ne constituent pas un accessoire indissociable du traitement des aides-soignants dans la mesure où l’arrêté précise que ces primes « peuvent » être attribuées ; qu’en conséquence, une décision individuelle du directeur de l’hôpital, autorité compétente en la matière, doit intervenir pour ouvrir droit à ces rémunérations accessoires ;

11. Attendu que le réquisitoire relève que ces décisions individuelles d’attribution doivent obligatoirement être produites à l’appui du paiement de chaque rémunération accessoire, en application des dispositions du paragraphe 20223 de l’annexe I du code général des collectivités territoriales et que le paiement des primes dites de sujétion serait intervenu en méconnaissance des dispositions, d'une part, de l'article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales et de l'annexe I prévue par cet article, et, d'autre part, des articles 19 et 20 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 susvisé ;

12. Attendu que le réquisitoire, notifié le 12 octobre 2016 au comptable et à l’ordonnateur qui en ont respectivement accusé réception le 13 et le 14 octobre 2016, fait ainsi grief à la comptable du centre hospitalier de n’avoir pas assuré le contrôle de la validité de la dépense qui lui incombait, en ouvrant sa caisse en l’absence des décisions individuelles d’attribution ou des contrats portant mention de l’attribution de cette indemnité, et d’avoir, par voie de conséquence, engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;

13. Attendu que par courrier en date du 29 décembre 2016, Mme X a adressé un mémoire en défense à la chambre régionale des comptes Grand Est ; que la comptable  fait valoir que l’hôpital considérait que la prime spéciale de sujétion et la prime forfaitaire attribuées aux aides-soignants étaient afférentes au traitement et ne justifiaient pas d’une décision individuelle, ainsi qu’en témoigne un courriel en date du 19 juillet 2016 adressé par le responsable des ressources humaines de l’établissement au magistrat en charge de l’examen des comptes ; qu’elle souligne que cette erreur d’interprétation des textes a soulevé des difficultés dans le contrôle des pièces justificatives de la dépense ;

14. Attendu que l’octroi de la prime spéciale de sujétion à des membres du personnel hospitalier non médical doit faire l’objet d’une décision individuelle qui doit être jointe à la demande de paiement, en application des dispositions du paragraphe 20223 de l’annexe I prévue à l’article D. 1617-19 susvisé du code général des collectivités territoriales ; qu’en l’absence de cette décision, il appartenait au comptable de suspendre le paiement dans le cadre du contrôle de la validité de la dépense qui lui incombe au titre des articles 19 et 20 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ; que la circonstance que l’établissement ait estimé, à tort, qu’il n’était pas nécessaire de prendre les actes individuels d’attribution de ces primes, est sans incidence sur le manquement de la comptable qui n’a, d’ailleurs, été contesté par celle-ci ni dans ses écrits du 29 décembre 2016, ni dans sa requête en appel du 14 décembre 2017 ;

15. Attendu que Mme X a ainsi engagé à ce titre sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;

Sur l’existence d’un préjudice financier

16. Attendu que Mme X fait valoir que le centre hospitalier n’a pas subi de préjudice financier du fait de ce manquement, dans la mesure où le paiement a été effectué « après service fait » au vu des bordereaux de paiement établis et signés par le directeur de l’établissement, cette signature manifestant la volonté de l’ordonnateur, qui est l’autorité compétente pour attribuer les primes en cause, de payer lesdites rémunérations accessoires ; qu’elle fait également valoir que l’hôpital a produit toutes les décisions individuelles relatives à l’octroi de ces primes avec effet rétroactif à compter de l’exercice  2014 ; que ces décisions, prises en novembre et décembre 2016, sont jointes à sa réponse ;

17. Attendu que Mme X souligne que les chambres des comptes Bretagne et Provence-Alpes-Côte d’Azur n’ont pas retenu le préjudice financier dans des situations comparables, dès lors que le service fait a été attesté et que les primes de sujétion spéciale étaient réglementairement dues ;

18. Attendu que si l’absence de préjudice financier était retenue, Mme X sollicite que le montant du laissé à charge soit fixé a minima , compte tenu de la volonté exprimée par le directeur de l’établissement dans son courrier en date du 14 décembre 2016 de régler la dépense ;

19. Attendu que le directeur du centre hospitalier de Rouffach a adressé le 14 décembre 2016 une réponse au réquisitoire n° 2016-37 du 27 septembre 2016 ; qu’il y indique que le centre hospitalier ne considère pas avoir été victime d’un préjudice financier dans la mesure où il estimait devoir payer aux aides-soignants concernés les rémunérations en cause ; qu’il fait valoir que le reproche fait à la comptable apparaît strictement formel du point de vue de l’établissement ; qu’il précise que l’anomalie  soulevée a été régularisée et que des décisions individuelles sont désormais prises pour appuyer le paiement de ces rémunérations accessoires ; qu’il souligne que, pour l’établissement, le comptable a bien exécuté une décision de l’ordonnateur, quand bien même celle-ci pouvait ne présenter qu’un caractère implicite ;

20. Attendu que pour déterminer si des paiements irrégulièrement effectués ont causé un préjudice financier à l’organisme public concerné, il appartient au juge des comptes d’apprécier si la dépense était effectivement due et, à ce titre, de vérifier notamment qu’elle n’était pas dépourvue de fondement juridique ;

21. Attendu que le moyen développé en défense par Mme X, selon lequel les paiements sont intervenus « après service fait », n’apparaît pas de nature à écarter la présomption de préjudice financier ; qu’il en va de même des déclarations de l’ordonnateur selon lesquelles l’organisme estime ne pas avoir subi de préjudice ;

22. Attendu que le moyen selon lequel d’autres chambres régionales des comptes auraient, dans des circonstances similaires, écarté l’existence d’un préjudice, est inopérant, dès lors que le juge n’est pas tenu par d’autres solutions jurisprudentielles voisines, son jugement devant être fondé sur une analyse des circonstances de chaque espèce ;

23. Attendu que la Procureure générale, dans ses conclusions susvisées, considère que le caractère préalable de la volonté de l’ordonnateur n’est pas établi par les pièces du dossier et que les décisions d’attributions émises en 2016 ne peuvent permettre de soutenir que les paiements visés au réquisitoire n’ont pas occasionné de préjudice financier au détriment du centre hospitalier ;

24. Attendu que les pièces justificatives qui faisaient défaut lors du paiement étaient des décisions individuelles d’attribution relevant de la seule compétence du directeur de l’établissement ; que ce même directeur, en ordonnançant le paiement des indemnités litigieuses, a, dans les circonstances de l’espèce, cru avoir exercé, de manière implicite sa volonté d’attribuer lesdites indemnités à l’ensemble des aides-soignants de l’établissement ; que, postérieurement au réquisitoire susvisé du procureur financier, il a pris, de façon rétroactive, pour chacun des agents concernés, la décision d’attribution qui faisait défaut au moment des paiements ; qu’il a ainsi manifesté que le manquement imputable à  Mme X n’avait entraîné la prise en charge par l’établissement de dépenses indues ; que l’appréciation du préjudice financier causé par un manquement devant être effectuée au moment où le juge des comptes statue, il y a lieu de tenir compte de l’ensemble de ces éléments pour en déduire que le manquement de la comptable n’a pas causé de préjudice au centre hospitalier ;

25. Attendu que le montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré jusqu’au 31 décembre 2014 était fixé à 151 000 € ; qu’ainsi, en application du décret susvisé du 10 décembre 2012, le montant maximal de la somme susceptible d’être mise à la charge de Mme X pour un manquement qui n’a pas causé de préjudice à l’établissement s’élève à 1,5 pour 1 000 dudit cautionnement, soit en l’espèce à 226,5 € ;

26. Attendu qu’aucune circonstance particulière n’étant en l’espèce de nature à moduler le montant de cette somme, il y a lieu de mettre à la charge de Mme X la somme de 226 €, au titre de l’exercice 2014 ;

Par ces motifs,

DÉCIDE :

Article 1 – Le jugement n° 2017-0009 du 2 octobre 2017 de la chambre régionale des comptes Grand Est est annulé.

Article 2 – Mme X devra s’acquitter d’une somme non rémissible de 226 € en vertu des dispositions du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963.

Article 3 - La décharge de Mme X pour sa gestion au titre de l’exercice 2014 ne pourra intervenir qu’après apurement de la somme non rémissible mentionnée à l’article 2 ci-dessus.

Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Jean-Yves BERTUCCI, président de section, président de la formation, Mme Catherine DÉMIER, conseillère maître, MM. Denis BERTHOMIER, Olivier ORTIZ,  Yves ROLLAND, Mme Dominique DUJOLS, conseillère maître, MM. Étienne CHAMPION et Jérôme-Michel MAIRAL, conseillers maîtres.

En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.

Aurélien LEFEBVRE

Jean-Yves BERTUCCI

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.

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