COUR DES COMPTES - Quatrième Chambre - Arrêt d'appel - 17/10/2019

COUR DES COMPTES - Quatrième Chambre - Arrêt d'appel - 17/10/2019

Région Lorraine - Appel d'un jugement de la chambre régionale des comptes Grand Est - S-2019-2407 - n° S-2019-2407

La Cour,

Vu la requête enregistrée le 21 décembre 2018 au greffe de la chambre régionale des comptes Grand Est, par laquelle M. X, comptable de la région Lorraine jusqu’au 7 mai 2011, a élevé appel du jugement n° 2018-0014 du 12 octobre 2018 qui l’a constitué débiteur envers ladite région des sommes de 35 000 € au titre de l’exercice 2010 (charge n°1), de 1 202,80 € au titre de l’exercice 2011 (charge n° 2), de 16 702 € au titre de l'exercice 2011 (charge n° 3), augmentées des intérêts de droit calculés à compter du 16 février 2016 ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance ;

Vu le code du commerce et notamment ses articles L. 622-24 et L. 622-26 ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique et notamment ses articles 12 et 13 ;

Vu le décret n°2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié ;

Vu le rapport de M. Laurent MICHELET, conseiller maître, chargé de l’instruction ;

Vu les conclusions n° 506 de la Procureure générale du 29 août 2019 ;

Entendu lors de l’audience publique du 26 septembre 2019, M. Laurent MICHELET, conseiller maître, en son rapport, Mme Flavie Le SUEUR, substitute générale, en les conclusions du ministère public, les autres parties, informées de l’audience, n’étant ni présentes, ni représentées ;

Entendu en délibéré Mme Dominique DUJOLS, conseillère maître, réviseure, en ses observations ;

1. Attendu que par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes Grand Est a constitué M. X débiteur envers la région Lorraine des sommes de 35 000 €, au titre de l’exercice 2010 et à raison d’un défaut de diligences qui a irrémédiablement compromis le recouvrement de titres de recettes (charge n° 1), de 1 202,80 €, au titre de l’exercice 2011 et à raison du paiement de rémunérations à des agents vacataires en l’absence des pièces justificatives requises (charge n° 2), de 16 702 €, au titre de l'exercice 2011 et à raison du paiement d’une indemnité à un agent sans avoir disposé des pièces justificatives requises (charge n° 3) ;

2. Attendu que le requérant conteste le préjudice financier qui découlerait des manquements qui lui sont reprochés s'agissant de deux titres de recettes non recouvrés (charge n° 1), en soutenant que le débiteur était insolvable ; qu’il sollicite en conséquence l'infirmation du jugement en tant qu’il dispose, pour cette charge, que la région Lorraine a subi un préjudice financier du fait de ces manquements ;

Sur les faits

3. Attendu que la région Lorraine a octroyé, en mars 2009, une avance remboursable d’un montant de 35 000 € à la société SPK MF ; qu’en application de la convention conclue entre les parties, le remboursement de cette avance devait intervenir à compter de 2010 ; que deux titres de recettes ont été émis les 21 mars et 11 avril 2011 en vue du remboursement de ces créances ; qu’alors que le redressement judiciaire de la société a été prononcé le 21 septembre 2010 et publié au bulletin des annonces civiles et commerciales (BODACC) le 6 octobre 2010, M. X a omis de déclarer ces créances auprès du mandataire judiciaire dans les délais impartis par le code de commerce ;

4. Attendu que la chambre régionale des comptes Grand Est a considéré que le requérant n'avait pas accompli les diligences requises en vue du recouvrement desdites créances et avait ainsi manqué aux obligations mentionnées au I de l'article 60 susvisé et engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire ; que ce manquement du comptable à ses obligations devait être regardé en l’espèce comme ayant causé un préjudice financier à la région Lorraine, dans la mesure notamment où le comptable n'avait pas apporté la preuve que le débiteur était manifestement insolvable à la date où les diligences précitées auraient dû être accomplies ;

Sur les moyens développés par M. X dans sa requête

5. Attendu tout d’abord, que le requérant soutient qu’il appartenait au magistrat instructeur de se faire communiquer par le mandataire judiciaire l’état de reddition des comptes, que ce magistrat n’a pas instruit à charge et à décharge et que le juge a manqué à son office ; qu’en laissant au comptable la charge de la preuve de l'absence de lien de causalité entre le manquement et le préjudice, alors que cette preuve doit être apporté par le juge,  la chambre régionale des comptes a commis une erreur de droit ;

6. Attendu que le requérant produit ensuite, à l’appui de sa requête, une attestation du liquidateur de la société en date du 30 novembre 2018 qui précise que « les créanciers de la région Lorraine ne pouvaient bénéficier du versement d’un dividende dans le cadre de la procédure de liquidation, dès lors que seules les créances privilégiées ont été réglées en tout ou partie » ; qu’il en conclut que le manquement qui lui est reproché n’a pas causé de préjudice financier à la région Lorraine ;

7. Attendu qu'aux termes de l’article 60 susvisé de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, dans sa rédaction issue de l'article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 que la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public « se trouve engagée dès lors [...] qu'une recette n'a pas été recouvrée » ;

8. Attendu que le manquement d'un comptable à ses obligations en matière de recouvrement des recettes doit en principe être regardé comme ayant causé un préjudice financier à l'organisme public concerné ; qu’il appartient dès lors dans ce cas au comptable d’apporter la preuve de l’absence de lien de causalité entre le manquement qui lui est reproché et le préjudice subi par la personne publique, par exemple en établissant que le redevable était insolvable à la date du manquement ; que cette preuve peut être apportée à tout moment ; qu’il en résulte que la chambre régionale des comptes n’a en l’espèce ni manqué à son office, ni commis une erreur de droit ;

9. Attendu que M. X a, lors de la procédure d’appel devant la Cour des comptes, produit une attestation du mandataire chargé de la liquidation, postérieure au jugement attaqué, dont il résulte que l’état de passif du débiteur n’aurait pas permis de désintéresser les créanciers du rang de la région Lorraine dès lors que seules les créances privilégiées ont été réglées en tout ou partie ; qu’ainsi, à la date du manquement, la créance de la région était irrécouvrable en raison notamment de l'insolvabilité de la personne qui en était redevable ;

10. Attendu, en conséquence, que le manquement du comptable à ses obligations n’a pas constitué en l’espèce la cause du préjudice financier qui résulte, pour la région, de la perte définitive de cette créance ; que le jugement entrepris doit donc être infirmé en tant qu’il constitue M. X débiteur envers la région Lorraine d’une somme de 35 000 € majorée des intérêts à compter du 16 février 2016 ; que, par l’effet dévolutif de l’appel, il y a lieu pour la Cour des comptes de se prononcer sur les conséquences à tirer du manquement précité ;

11. Attendu que « lorsque le manquement du comptable n'a pas causé de préjudice financier à l'organisme public », le juge des comptes, en application de l’article 60-VI, 2 ème alinéa de la loi du 23 février 1963 « peut obliger le comptable à s'acquitter d'une somme arrêtée, en tenant compte des circonstances de l'espèce » ; que le décret du 10 décembre 2012 susvisé fixe cette somme à un millième et demi du montant du cautionnement du poste comptable concerné ;

12. Attendu que le montant du cautionnement prévu pour le poste comptable dont relevait la région Lorraine s'élevait à 176 000 € au cours de l’exercice 2011 ; qu'en conséquence, le montant maximum de la somme susceptible d'être mise à la charge du comptable par le juge des comptes est de 264 € ;

13. Attendu qu'en dépit du montant élevé des créances en cause, le comptable n'a pas accompli en temps utile les diligences adéquates en vue de leur recouvrement et de la préservation des droits de la collectivité ; qu’au regard de ces circonstances, il y a lieu de mettre à la charge de M. X une somme non rémissible de 264 € au titre de l'exercice 2011 ;

Par ces motifs,

DÉCIDE :

Article 1 er . — Le jugement de la chambre régionale des comptes Grand Est n° 2018-0014 du 12 octobre 2018 est infirmé dans ses dispositions relatives à la première charge, en ce qu’il a constitué M. X débiteur envers la région Lorraine de la somme de 35 000 €, majorée des intérêts de droit à compter 16 février 2016.

Article 2. –  M. X devra s'acquitter d'une somme de 264 € au titre de l'exercice 2011, en application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ; cette somme ne peut faire l'objet d'une remise gracieuse en vertu du IX de l'article 60 précité.

Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Jean-Yves BERTUCCI, président de section, président de séance, Mme Catherine DÉMIER conseillère maître, M. Yves ROLLAND, conseiller maître et Mme Dominique DUJOLS, conseillère maître.

En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.

Aurélien LEFEBVRE

Jean-Yves BERTUCCI

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.

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