CRTC - CRC GRAND EST - Jugement - 12/10/2018

CRTC - CRC GRAND EST - Jugement - 12/10/2018

Commune de Ville-Houdlémont (Meurthe-et-Moselle) - n° 2018-0012

La Chambre régionale des comptes Grand Est,

Vu le jugement n° 2017-0014 du 8 décembre 2017 par lequel la chambre régionale des comptes Grand Est a constaté que les opérations d'ingérence, par la Caisse de Crédit Mutuel de Longwy-Bas, dans le maniement d'une recette d'emprunt destinée à la commune de Ville‑Houdlémont et dans le règlement de factures, étaient constitutives d'une gestion de fait ;

Vu la décision du 13 mars 2018 par laquelle la chambre régionale des comptes Grand Est a demandé au procureur financier de bien vouloir inviter l'ordonnateur de la commune de Ville‑Houdlémont à solliciter de l’assemblée délibérante qu’elle se prononce sur l'utilité publique des dépenses portées dans le compte de la gestion de fait ;

Vu le code général des collectivités territoriales et notamment ses articles L. 1611-7 et L. 1611- 7-1 ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu la loi n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée portant loi de finances pour 1963, notamment son article 60 ;

Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 modifié relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

Vu le rapport n° 2018/159 du 25 juin 2018 de Mme Anne-Claude Hans, première conseillère, magistrate chargée de l’instruction ;

Vu les conclusions n° 159-2018 du procureur financier du 4 septembre 2018 ;

Vu les observations de la Caisse du Crédit Mutuel de Longwy-Bas, en date du 24 septembre 2018, enregistrées au greffe de la chambre le 24 septembre 2018 ;

Vu les pièces du dossier et notamment le réquisitoire n° 2016/42 du 22 novembre 2016 et le réquisitoire supplétif n° 2017/14 du 12 juin 2017 par lesquels le procureur financier près la chambre régionale des comptes Grand Est a saisi la juridiction d’opérations qu’il estimait constitutives d’une gestion de fait des deniers de la commune de Ville-Houdlémont ;

Entendus, lors de l’audience publique du 27 septembre 2018, Mme Anne-Claude Hans en son rapport, M. Thierry Farenc, procureur financier, en ses conclusions ; entendu M. X, maire de Ville-Houdlémont, Maître Rapp substituant Maître Paulus représentant la Caisse de Crédit Mutuel de Longwy-Bas, en leurs observations orales ; M. X, employé de la Caisse de Crédit Mutuel de Longwy-Bas, dûment informé de la tenue de l’audience, n’étant ni présent ni représenté ;

Sur la procédure :

1. Considérant que, dans son jugement n° 2017-0014 du 8 décembre 2017, la chambre régionale des comptes Grand Est a constaté que les opérations d'ingérence, par la Caisse de Crédit Mutuel de Longwy-Bas, dans le maniement d'une recette d'emprunt destinée à la commune de Ville-Houdlémont et dans le règlement de factures, étaient constitutives d'une gestion de fait ;

2. Considérant que, par ce même jugement, la chambre a déclaré M. X, la Caisse du Crédit Mutuel de Longwy-Bas et M. Y comptables de fait des deniers de la commune de Ville‑Houdlémont et leur a demandé de déposer au greffe de la chambre, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, le compte dûment signé des opérations de la comptabilité de fait ;

3. Considérant que les gestionnaires de fait ont déposé au greffe de la juridiction le compte de la gestion de fait, qu’ils ont signé ; que ce compte, daté du 19 janvier 2018, a été enregistré au greffe le 26 janvier 2018 ; qu’à l’appui du compte ont été produites diverses pièces justifiant des recettes et des dépenses ;

4. Considérant que la chambre, par décision du 13 mars 2018, a demandé au procureur financier de bien vouloir inviter l'ordonnateur de la commune de Ville-Houdlémont à solliciter de l’assemblée délibérante qu’elle se prononce sur l'utilité publique des dépenses portées dans le compte de la gestion de fait ;

5. Considérant que le conseil municipal, réuni le 1 er mars 2018, s’est prononcé favorablement sur le caractère d’utilité publique des dépenses de la gestion de fait ;

Sur la ligne de compte de la gestion de fait :

Sur le compte produit :

6. Considérant qu’aux termes de l’article L.231-3 du code des juridictions financières : «  la chambre régionale des comptes juge les comptes que lui rendent les personnes qu'elle a déclarées comptables de fait. Elle n'a pas juridiction sur les ordonnateurs, sauf ceux qu'elle a déclarés comptables de fait. Les personnes que la chambre régionale des comptes a déclarées comptables de fait sont tenues de lui produire leurs comptes dans le délai qu'elle leur impartit. […]  » ;

7. Considérant que le compte produit par les personnes déclarées comptables de fait est composé d’un tableau récapitulatif des dépenses et des recettes qui fait apparaître un total de dépenses de 196 436,91 € et un total de recettes du même montant ; que diverses pièces justificatives relatives à un marché de prestations sur les réseaux communaux ont été produites à l’appui de ce compte ; que le compte de la gestion de fait est en état d’être jugé ;

En recettes :

8. Considérant qu’aux termes du I de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée portant loi de finances pour 1963, «  (…) les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsablesdu recouvrement des recettes  » ;

9. Considérant que, pour assurer le financement de travaux de mise en conformité du réseau d’adduction d’eau potable et de dissimulation des réseaux, la commune de Ville-Houdlémont a décidé de contracter un emprunt ;

10. Considérant que le contrat de prêt, régulièrement conclu le 5 octobre 2015 entre la Caisse de Crédit Mutuel de Longwy-Bas et la commune, autorisait un versement fractionné de la recette ; que la somme de 196 436,91 € correspond à la recette totale encaissée par les gestionnaires de fait à la suite des demandes de déblocage des fonds ; qu’en conséquence il convient d’admettre les recettes de la gestion de fait à hauteur de 196 436,91 € pour la période du 6 novembre 2015 au 19 mai 2016 ;

En dépenses :

11. Considérant que l’article R. 231-16 du code des juridictions financières prévoit que la procédure applicable au jugement des comptes des comptables de fait est celle prévue aux articles R. 242-2 à R. 242-15 du même code pour les comptes des comptables patents ; qu’aux termes du I de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, « (…) les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables (…) du paiement des dépenses […]. Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu’ils sont tenus d’assurer en matière de (…) dépenses (…) dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique. La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors (…) qu’une dépense a été irrégulièrement payée […] » ;

12. Considérant que la commune a régulièrement conclu un marché de travaux pour la mise en conformité du réseau d’adduction d’eau potable et de dissimulation des réseaux ; que l’acte d’engagement du lot n° 1 a prévu, en son article 2.1, que le montant du marché s’établissait à 140 038,50 € HT (168 046,20 € TTC) ; que l’acte d’engagement du lot n° 2 a prévu, en son article 2.1, que le montant du marché s’établissait à 82 860 € HT (99 432 € TTC) ;

13. Considérant que si, en réglant le deuxième acompte du lot n° 2 le 19 mai 2016, les gestionnaires de fait ont ouvert leur caisse en dépassement de 792 € TTC du montant initial du marché de travaux, fixé à 99 432 € TTC, il résulte de l’instruction qu’un avenant audit marché a été conclu le 1 er mars 2017 en vue d’ajuster le prix du lot n° 2 ; qu’eu égard à la modicité du dépassement en cause et à sa régularisation, il n’y a pas lieu d’engager la responsabilité des comptables de fait ;

14. Considérant que les dépenses ont été, dans leur totalité, considérées comme d’utilité publique par l’assemblée délibérante ;

15. Considérant qu’en l’absence de dépense indue, de dépense étrangère à la gestion de fait ou de dépense non justifiée, il convient d’admettre les dépenses dans leur totalité et de les allouer à hauteur de 196 436,91 € pour la période du 6 novembre 2015 au 19 mai 2016 ;

16. Considérant qu’il suit de là que la ligne de compte de la gestion de fait des deniers de la commune de Ville-Houdlémont pour la période du 6 novembre 2015 au 19 mai 2016 doit être fixée au montant de 196 436,91 € pour les recettes admises et de 196 436,91 € pour les dépenses allouées ; que le montant des recettes admises étant égal au montant des dépenses allouées, les comptables de fait ne sont pas tenus à un versement de leurs deniers personnels dans la caisse de la commune ;

Sur l’amende pour immixtion dans les fonctions de comptable public

17. Considérant qu’aux termes de l’article R.231-1 du code des juridictions financières : «  […] la chambre régionale des comptes […] déclare et apure les gestions de fait et elle prononce les condamnations à l'amende. […]  » ; qu’en application de ces dispositions, la chambre régionale des comptes peut condamner les comptables de fait au versement d’une amende à raison de leur immixtion dans les fonctions de comptable public ; que le montant de l'amende tient compte de l'importance et de la durée de la détention ou du maniement des deniers, des circonstances dans lesquelles l'immixtion dans les fonctions de comptable public s'est produite, ainsi que du comportement et de la situation matérielle du comptable de fait ; que le montant de l’amende ne peut dépasser le total des sommes indûment détenues ou maniées ;

18. Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. X, maire de Ville-Houdlémont, n’avait pas conscience de méconnaitre les règles de la comptabilité publique lorsqu’il a validé les ordres de déblocage des fonds provenant de l’emprunt souscrit ; qu’il a d’ailleurs immédiatement cessé de le faire quand l’irrégularité de la procédure mise en œuvre par la banque a été portée à sa connaissance ; qu’il a fait diligence pour produire le compte et les pièces attenantes à la gestion de fait ; qu’ainsi il n’y a pas lieu de le condamner au versement d’une amende à raison de son immixtion dans les fonctions de comptable public de la commune ;

19. Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’en sa qualité d’employé de la Caisse du Crédit Mutuel de Longwy-Bas, M. Y avait la charge de contrôler les dossiers des collectivités publiques et de débloquer les fonds issus des prêts accordés par la banque ; qu’un professionnel ayant de telles attributions ne pouvait, d’une part, ignorer que le comptable public était seul habilité à recevoir les fonds obtenus au titre d’un emprunt souscrit par une commune et à les débloquer pour payer les entreprises cocontractantes ; que l’intéressé ne pouvait davantage ignorer qu’il mettait en œuvre auprès de la commune de Ville-Houdlémont une procédure dédiée aux personnes de droit privé ; que toutefois, M. Y n’a retiré aucun avantage personnel à mettre en œuvre une procédure irrégulière ; qu’eu égard à la diligence de l’intéressé à produire le compte et les pièces attenantes à la gestion de fait, il y a lieu de le condamner au versement d’une amende de 250 € à raison de son immixtion dans les fonctions de comptable public de la commune de Ville-Houdlémont ;

20. Considérant que la Caisse du Crédit Mutuel de Longwy-Bas soutient qu’elle a réalisé les virements en cause sur instruction du maire de Ville-Houdlémont ; qu’elle ne pouvait effectuer les contrôles incombant à un comptable public, sans s’ingérer dans les relations entre la commune et les entrepreneurs ; que dès qu’elle a eu connaissance de la situation mise en place par son préposé, elle n’a eu de cesse de tenter de la régulariser mais le comptable public y a fait obstacle ; qu’elle n’a tiré aucun profit de la situation et que l’ensemble des opérations litigieuses ont été reconnues d’utilité publique par le conseil municipal de Ville-Houdlémont ; que sa qualité de partenaire de longue date des collectivités locales ne saurait suffire à caractériser une volonté de s’immiscer dans les fonctions de comptable public ; qu’elle réalise quotidiennement un grand nombre d’opérations et que des contrôles ponctuels sont effectués de manière aléatoire ; qu’au cas d’espèce, des mesures internes de contrôle ont été prises a posteriori et les opérations litigieuses n’ont duré que dix jours ; que la Caisse du Crédit Mutuel a fait diligence pour établir le compte et fournir les pièces justificatives ;

21. Considérant qu’il n’est pas contesté qu’en tant que partenaire de longue date, la Caisse du Crédit Mutuel de Longwy-Bas dispose d’une relation privilégiée avec les collectivités publiques ; qu’un tel établissement bancaire ne peut ignorer que le comptable public est seul habilité à recevoir les fonds obtenus au titre d’un emprunt souscrit par une commune et à les manier pour payer les entreprises prestataires de travaux ; que les opérations litigieuses ont porté à la fois sur la rétention et sur le maniement des fonds destinés à une commune, pour un montant total de 196 436,91 € ; que la double circonstance que les opérations en cause n’aient duré que dix jours et que la banque ait fait diligence pour régulariser la situation dès qu’elle en a eu connaissance ne sauraient exonérer l’établissement de crédit de son rôle actif dans l’immixtion dans les fonctions de comptable public dès lors qu’il est établi que c’est le comptable public lui-même et non la banque qui a mis au jour les opérations litigieuses et suscité leur cessation rapide ; que d’ailleurs, la Caisse de Crédit Mutuel de Longwy-Bas ne produit aucun élément de nature à établir que son système de contrôle interne n’aurait pas été complètement défaillant ; qu’en conséquence, il sera fait une juste appréciation de l’amende infligée à l’établissement de crédit du fait de son immixtion dans les fonctions de comptable public en fixant son montant à 1 500 € ;

Sur la situation des personnes attraites dans la procédure de gestion de fait

22. Considérant qu’aucune charge ne subsistant à l’encontre de M. X, il y a lieu de le décharger et de le déclarer quitte de sa gestion terminée le 19 mai 2016 ;

23. Considérant qu’en raison de l’amende infligée à M. Y et à la Caisse du Crédit Mutuel de Longwy-Bas, les personnes en cause ne pourront être déchargées de leur gestion qu’après avoir justifié s’être acquittées du paiement de ladite amende ;

Par ces motifs, décide :

Article 1 er  : La ligne de compte des opérations constitutives de la gestion de fait des deniers de la commune de Ville-Houdlémont est fixée à 196 436,91 € en recettes et à 196 436,91 € en dépenses.

Article 2 : une amende deux cent cinquante euros (250 €) est prononcée à l’encontre de M. Y.

Article 3 : une amende de mille cinq cents euros (1 500 €) est prononcée à l’encontre de la Caisse du Crédit Mutuel de Longwy-Bas.

Article 4 : Le produit de ces amendes sera à verser à la commune de Ville-Houdlémont.

Article 5 : M. X est déchargé de sa gestion du 6 novembre 2015 au 19 mai 2016 et déclaré quitte de sa gestion terminée le 19 mai 2016.

Article 6 : M. Y et la Caisse de Crédit Mutuel de Longwy-Bas ne pourront être déchargés de leur gestion qu’après avoir justifié s’être acquittés du paiement de l’amende qui leur a été infligée.

Article 7 : Le présent jugement sera notifié à M. X, maire de Ville-Houdlémont, à M. Z, président du conseil d’administration de la Caisse du Crédit Mutuel de Longwy-Bas, à M.  Y, employé dudit établissement de crédit et au procureur financier près la Chambre régionale des comptes Grand Est. 

Fait et jugé à la chambre régionale des comptes Grand Est, hors la présence du rapporteur et du procureur financier, le vingt-sept septembre deux mille dix-huit, par M. Dominique Roguez, président de séance, Mme Laurence Mouysset, MM. Christophe Berthelot, Franck Daurenjou et Mme Nathalie Gervais, présidents de section, M. Laurent Picquenot, Mme Axelle Toupet, MM. René Burkhalter, Bernard Gonzales, Christophe Leblanc, Mme Carine Pillet et M. Arthur Lathelize, premiers conseillers, M. Mathieu Marceau, conseiller.

La greffière de séance,

Signé

Carine COUNOT

Le président de séance,

Signé

Dominique ROGUEZ

La République Française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu'ils seront légalement requis.

En foi de quoi, le présent jugement a été signé par le président de la chambre régionale des comptes Grand Est et par le secrétaire général.

Le secrétaire général,

Signé

Patrick GRATESAC

Le président de la chambre,

Signé

Dominique ROGUEZ

En application des articles R. 242-19 à R. 242-21 du code des juridictions financières, les jugements prononcés par la chambre régionale des comptes peuvent être frappés d’appel devant la Cour des comptes dans le délai de deux mois à compter de la notification, et ce selon les modalités prévues aux articles R. 242-22 à R. 242-24 du même code.

Collationné, certifié conforme à la minute déposée au greffe

de la Chambre régionale des comptes Grand Est

A Metz, le 16 octobre 2018

Carine COUNOT, greffière

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