CRTC - CRC NORMANDIE - Jugement - 20/07/2017

CRTC - CRC NORMANDIE - Jugement - 20/07/2017

Commune - Gouville-sur-Mer - (Manche) - Jugement - 2017-11 - débet - n° 2017-11

JUGEMENT

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA CHAMBRE,

Vu le réquisitoire n° 2016-048 du 25 octobre 2016 du procureur financier près la chambre régionale des comptes Normandie, enregistré au greffe le 9 novembre 2016 ;

Vu les justifications produites au soutien des comptes ou recueillies au cours de l’instruction ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifié ;

Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu les lois et règlements relatifs à la comptabilité des collectivités territoriales et de leurs établissements publics ;

Vu le jugement n° 2015-20 du 17 décembre 2015 de la chambre régionale des comptes de Basse-Normandie, Haute-Normandie, statuant sur le compte de l’exercice 2012 ;

Vu le jugement n° 2016-03 du 24 mars 2016 par lequel la chambre régionale des comptes Normandie a décidé d’évoquer les comptes de la commune de Gouville-sur-Mer pour l’exercice 2013 ;

Vu le rapport n° 2017-0084 de M. Philippe Boëton, premier conseiller, magistrat chargé de l’instruction ;

Vu les conclusions n° 2017-0084 du procureur financier du 26 juin 2017 ;

Entendu, lors de l’audience publique du 29 juin 2017, M. Philippe Boëton en son rapport,
M. Stéphane Guillet, procureur financier, en les conclusions du ministère public, les comptables et l’ordonnateur, informés de l’audience, n’étant ni présents ni représentés ;

ORDONNE CE QUI SUIT

Charge unique :

Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le ministère public a relevé que le comptable, M. Jean-Pierre Legrand, avait procédé à la mise en paiement du mandat n° 1 727 émis le 7 janvier 2013 et rattaché à l’exercice budgétaire 2012, d’un montant de 64 352 euros et relatif à un fonds de concours au bénéfice de la communauté de communes de Saint-Malo de la Lande ;

Sur la compétence de la chambre régionale des comptes

Attendu que, dans ses conclusions susvisées, le ministère public estime, à titre principal, qu’il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité du comptable, le montant en cause se rattachant à l’exercice 2012 pour lequel celui-ci a déjà obtenu décharge de sa gestion ;

Attendu que l’instruction budgétaire et comptable M14, en vigueur au 1er janvier 2013, indique que «  La comptabilité d’un exercice budgétaire est arrêtée à la date du 31 décembre » ; que, selon cette même instruction, « une journée complémentaire permet, d'une part, à l'ordonnateur d'émettre, (…) les mandats et les titres de recettes correspondant à des droits ou obligations constatés se rapportant à l'année qui s'est achevée, et, d'autre part, au comptable de comptabiliser les mandats et titres émis durant cette période. La journée complémentaire s'étend du 1er janvier au 31 janvier. Durant la journée complémentaire, les opérations faisant intervenir les comptes de disponibilités ne peuvent être décrites dans la comptabilité de l'exercice qui s'achève. Elles le sont dans l'exercice qui commence » ;

Attendu que le mandat n° 1 727 d’un montant de 64 352 euros a été émis au cours de la journée complémentaire le 7 janvier 2013 et rattaché à l’exercice budgétaire 2012 ; que le décaissement de la somme de 64 352 euros correspondant à ce mandat est intervenu à la date du 16 janvier 2013 en créditant le compte 515 « Compte au trésor » ;

Attendu que l’instruction budgétaire et comptable M14, en vigueur au 1er janvier 2013, fait explicitement mention que le compte 515 est un compte de disponibilités ; qu’ainsi il n’existe aucune ambiguïté sur l’obligation faite d’enregistrer les opérations du compte 515 dans la comptabilité 2013 pour les opérations effectuées dans le cadre de la journée complémentaire ; qu’à ce titre, le décaissement relatif à l’émission du mandat n° 1 727 émis le 7 janvier 2013 d’un montant de 64 352 euros affecte un compte de disponibilité au titre de l’exercice 2013 à la date du 16 janvier 2013 ;

Attendu, par ailleurs, qu’il est de jurisprudence constante que la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables s’apprécie à la date des paiements, au cas présent à la date du 16 janvier 2013 ; que, par le jugement susvisé du 17 décembre 2015, passé en force de chose jugée, la chambre régionale des comptes de Basse-Normandie, Haute-Normandie en a tiré la conséquence que l’opération en cause n’était pas de nature à engager la responsabilité de M. Legrand au titre de l’exercice 2012 ; qu’il y a dès lors lieu, pour la chambre régionale des comptes, de se prononcer sur la régularité du payement constaté ;

Sur le manquement présumé du comptable

Attendu qu’en vertu de l’article 17 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des actes et contrôles qui leur incombent en application des dispositions des articles 18, 19 et 20 de ce même décret et dans les conditions fixées par l’article 60 de la loi du 23 février 1963 ; qu’aux termes de l’article 19 du même décret, « le comptable public est tenu d'exercer le contrôle : (…) 2° S’agissant des ordres de payer (…) / De la validité de la dette dans les conditions prévues à l'article 20 (…) » ; qu’aux termes de l’article 20 du même décret « le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette porte sur : / (…) La production des pièces justificatives » ; qu’aux termes de l’article 50 du même décret « … la liste des pièces justificatives des dépenses, des recettes et des opérations d'ordre des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et des établissements publics de santé est fixée par décret » ; enfin,aux termes de l’article 38 du même décret « (…) lorsqu'à l'occasion de l'exercice des contrôles prévus au 2° de l'article 19 le comptable public a constaté des irrégularités ou des inexactitudes dans les certifications de l'ordonnateur, il suspend le paiement et en informe l'ordonnateur »  ; 

Attendu qu’il résulte de ces dispositions que pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications nécessaires ; qu’à ce titre, il leur revient d’apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier notamment si l’ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et si ces pièces sont complètes et précises ; que si les pièces justificatives fournies sont insuffisantes pour établir la validité de la créance, il appartient aux comptables de suspendre le payement jusqu’à ce que l’ordonnateur leur ait produit les justifications nécessaires ;

Attendu que l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales dispose que, « avant de procéder au paiement d’une dépense ne faisant pas l’objet d’un ordre de réquisition, les comptables publics des collectivités territoriales (…) ne doivent exiger que les pièces justificatives prévues pour la dépense correspondante dans la liste définie à l’annexe I du présent code » ;

Attendu que cette annexe, constitutive de la nomenclature des pièces justificatives des paiements des collectivités locales, comporte une rubrique n° 76 « Fonds de concours » ; que cette rubrique exige, pour la justification de la mise en paiement de cette dépense, les pièces suivantes :

« 1. Décision fixant les conditions d’engagement de la collectivité ;

2. Le cas échéant, convention ou délibérations concordantes des autres collectivités concernées ;

3. Titre de perception ou état visé pour valoir titre de perception émis par la collectivité gérant le fonds de concours » ;

Attendu que, lors de l’instruction, le comptable a fourni une délibération du 3 juin 2008 de la commune de Gouville-sur-Mer approuvant le principe de solliciter la communauté de communes de Saint-Malo de la Lande  pour financer la restauration du Moulin de Gouville-sur-Mer ; que cette délibération ne rend compte que du souhait de la commune de voir le Moulin de Gouville-sur-Mer être restauré par la communauté de communes de Saint-Malo de la Lande dont elle est membre, sans autre précision ; que dès lors, la délibération du 3 juin 2008 ne peut être considérée comme une décision fixant les conditions d’engagement de la collectivité;

Attendu que, lors de l’instruction, le comptable a également produit comme pièce justificative un tableau présentant les investissements de la commune de Gouville-sur-Mer, notamment une ligne comptable au compte c/204151 d’un montant de 74 000 € annotée « 70 000 € de fonds de concours pour Restaurat moulin à payer à la Cté de Cmes »  ; que ce tableau constitue un extrait de la brochure explicative remise à chaque conseiller municipal lors du vote du budget primitif 2012 ; qu’un tel document ne constitue pas un acte à caractère décisionnel ; que, dans ces conditions, le document produit par le comptable ne peut s’apparenter à une décision de la commune de Gouville-sur-Mer fixant les conditions d’engagement de la collectivité ;

Attendu que, dans ces conditions, le comptable ne disposait pas, au moment du décaissement relatif au paiement du mandat n° 1 727 de 64 352 euros, des pièces attendues de la rubrique n° 76 « Fonds de concours » à l’annexe I de l’article D.1617-19 du code général des collectivités territoriales ; qu’en ne suspendant pas alors la mise en paiement du mandat, le comptable a manqué à ses obligations ;

Attendu que l’article 60,I, de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 dispose que « Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu’ils sont tenus d’assurer en matière […] de dépenses […] dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique […] » et que « la responsabilité personnelle et pécuniaire [des comptables publics] se trouve engagée dès lors [...]  qu'une dépense a été irrégulièrement payée »  ;

Attendu, en conséquence, que M. Legrand a engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire pour avoir procédé à tort en 2013 à un décaissement de 64 352 euros ;

Sur l’existence d’un préjudice financier

Attendu que le VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 prévoit que « lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme public concerné, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce […] Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné […] le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante  » ;

Attendu par ailleurs que le constat de l’existence ou non d’un préjudice financier, au sens des dispositions précitées, relève de l’appréciation du juge des comptes ; que si, au regard du caractère contradictoire de la procédure, il y a lieu de tenir compte des dires et actes éventuels de la collectivité qui figurent au dossier, le juge des comptes n’est pas lié par les déclarations de l’ordonnateur indiquant que la collectivité n’aurait subi aucun préjudice ;

Attendu que M. Legrand invoque une délibération du conseil municipal de Gouville-sur-Mer en date du 23 avril 2014 régularisant l’octroi du fonds de concours pour l’opération de restauration du Moulin de la commune ; que cette délibération de régularisation est intervenue postérieurement au paiement du 16 janvier 2013 ; qu’en l’absence de décision prise par l’autorité compétente antérieurement au payement, la dépense doit être regardée comme ayant préjudicié à la collectivité ;

Attendu qu’au cours de la procédure contradictoire, le maire a estimé que le payement litigieux n’avait pas causé de préjudice financier à la commune de Gouville-sur-Mer au motif que celui-ci était bien prévu et voté par le conseil municipal au travers de l’approbation des budgets primitifs ; que la simple inscription au budget communal d’un crédit global à caractère limitatif est prévisionnelle et n’établit en rien que la dépense était due ;

Attendu que le paiement de la somme de 64 352 euros en l’absence d’une décision fixant les conditions d’engagement de la collectivité, constitue une dépense dépourvue de fondement juridique ; que celle-ci revêt un caractère indu et doit être regardée comme ayant causé à la collectivité un préjudice au sens des dispositions précitées ;

Attendu qu’aux termes du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963, le comptable doit être constitué débiteur des sommes irrégulièrement payées lorsque son manquement a causé un préjudice financier à la personne publique ; qu’il y a en conséquence lieu de constituer M. Legrand débiteur, au titre de l’exercice 2013, d’une somme de 64 352 euros ;

Attendu qu’aux termes du VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’en l’espèce, cette date est le 17 novembre 2016 ;

Sur le respect des règles de contrôle sélectif de la dépense

Attendu qu’aux termes du IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963, « hormis le cas du décès du comptable ou du respect par celui-ci, sous l’appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes » ;

Attendu que M. Legrand a produit des documents susceptibles d’être regardés comme un plan de contrôle sélectif de la dépense ; que par application de ces pièces, il lui revenait de contrôler de manière exhaustive toutes les dépenses supérieures à 1 000 euros ;

Attendu, dans ces circonstances, que le comptable ne justifie pas avoir respecté les règles de contrôle sélectif des dépenses ; qu’ainsi l’intéressé ne pourra se voir accorder une remise gracieuse totale du débet ;

PAR CES MOTIFS,

Article 1 : M. Legrand est constitué débiteur de la commune de Gouville-sur-Mer, au titre de l’exercice 2013, à hauteur de soixante-quatre mille trois cent cinquante-deux euros (64 352,00 €) augmentés des intérêts de droit à compter du 17 novembre 2016 ;

Article 2 : M. Legrand ne pourra être déchargé de sa gestion au titre de l’exercice 2013 qu’après apurement du débet fixé ci-dessus ;

Fait et jugé à la chambre régionale des comptes Normandie par M. Christian Michaut, président,
MM. Rémy Janner et Hubert La Marle, présidents de section, et MM. Bruno Baumann et Frédéric Lelaquet, premiers conseillers.

La greffière,

Le président,

Véronique LEFAIVRE

Christian MICHAUT

Collationné, certifié conforme à la minute étant au Greffe
de la Chambre et délivré par moi Secrétaire Général

Christian QUILLE

La République Française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

CONDITIONS D'APPEL :

Code des juridictions financières – article R. 242-19 et suivants : «  Les jugements rendus par les chambres régionales des comptes peuvent être attaqués dans leurs dispositions définitives par la voie de l'appel devant la Cour des comptes  » (…) – article R. 242-23 « L’appel doit être formé dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.  »

Vous ne trouvez pas ce que vous cherchez ?

Demander un document

Avertissement : toutes les données présentées sont fournies directement par la DILA via son API et ne font l'objet d'aucun traitement ni d'aucune garantie.

expand_less