COUR DES COMPTES - Quatrième Chambre - Arrêt d'appel - 30/01/2020

COUR DES COMPTES - Quatrième Chambre - Arrêt d'appel - 30/01/2020

Commune de Drusenheim (Bas-Rhin) - Appel d'un jugement de la chambre régionale des comptes Grand Est - n° S-2020-0034

La Cour,

Vu la requête enregistrée le 5 août 2019 au greffe de chambre régionale des comptes Grand Est, par laquelle M. X, comptable de la commune de Drusenheim, a élevé appel du jugement n° 2019-0009 du 14 juin 2019 de la juridiction qui, au titre de l’exercice 2015, l’a constitué débiteur de la somme de 882,23 € (charge n° 1) et a mis à sa charge la somme non rémissible de 226,50 € (charge n° 2) ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance, et notamment le réquisitoire du procureur financier près la chambre régionale des comptes Grand Est n° 2018-14 du   17 avril 2018 ;

Vu le code général des collectivités territoriales, notamment ses articles L. 1615-2 et D. 1617-19 ;

Vu le code général des impôts, notamment son article 261-4-10° ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

Vu l’instruction budgétaire et comptable M14 applicable aux communes ;

Vu la circulaire du 21 juin 2013 NOR INTB 1310845C précisant les délais de retrait d’une décision d’attribution du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ;

Vu le rapport de M. Patrick BONNAUD, conseiller maître, chargé de l’instruction ;

Vu les conclusions de la Procureure générale n° 838 du 16 décembre 2019 ;

Entendu lors de l’audience publique du 19 décembre 2019, M. Patrick BONNAUD, conseiller maître, en son rapport, Mme Loguivy ROCHE, avocate générale, en les conclusions du ministère public, les autres parties, informées de l’audience, n’étant ni présentes, ni représentées ;

Entendu en délibéré M. Olivier ORTIZ, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;

1. Attendu que, par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes Grand Est a, d’une part, constitué, au titre de l’exercice 2015, M. X, comptable de la commune de Drusenheim, débiteur envers cette collectivité de la somme de 882,83 €, pour avoir manqué à son obligationde contrôle de l’exactitude des calculs de liquidation en payant la TVA sur une opération qui en était exonérée, manquement qui, selon la juridiction, a causé un préjudice financier à la commune à hauteur du montant de la taxe ainsi indûment payée, aux motifs que le reversement dont se prévalent le comptable et l'ordonnateur n'étant pas conforme aux dispositions de l'article 261 du code général des impôts, il ne peut être considéré comme définitivement acquis à la commune et que le comptable n’a pas émis et recouvré un titre à l’encontre de l’entreprise prestataire (charge n° 1) ; que la juridiction a, d’autre part, mis à la charge de M. X, au titre du même exercice, la somme non rémissible de 226,50 € pour avoir accepté l’imputation erronée d’une dépense d’un montant global de 24 922,88 € (charge n° 2) ;

2. Attendu que l’appelant demande l’infirmation du jugement en ce que celui-ci a considéré, d’une part, que le premier manquement avait causé à la commune un préjudice de 882,83 € et, d’autre part, que, s’agissant de la seconde charge, le comptable avait manqué à son obligation de contrôle de l’exacte imputation des dépenses ;

Sur la régularité de la procédure suivie en première instance

3. Attendu que s’agissant de la charge n° 2, la chambre aurait, selon l’appelant, jugé ultra petita dans la mesure où les réquisitions du procureur ne font pas explicitement mention d’un manquement du comptable à son obligation de contrôle de l’exacte imputation de la dépense ; que M. X met ainsi en cause la régularité du jugement ; qu’il y a donc lieu de considérer que l’appelant demande l’annulation des dispositions du jugement relatives à la charge n° 2, et non leur infirmation ;

4. Attendu qu’aux termes de l’article R. 242-13 du code des juridictions financières, le jugement statue sur chacun des griefs du réquisitoire ; qu’il en résulte que le juge est tenu par les termes du réquisitoire ; qu’en l’espèce, contrairement à ce que soutient l’appelant, le réquisitoire susvisé du 17 avril 2018 susvisé demande explicitement à la chambre de se prononcer sur le respect par le comptable de son obligation de contrôle de l’exacte imputation de la dépense ; que, dès lors, il convient de rejeter les conclusions à fin d’annulation présentées par M. X qui manquent en fait ;

Sur le fond

Sur la charge n° 1 (mandat n° 1867 du 11 décembre 2015 d’un montant de 5 297 € dont   882,83 € au titre de la taxe sur la valeur ajoutée)

5. Attendu que l’appelant, qui ne conteste pas le manquement, fait valoir que, pour évaluer le montant du préjudice, les premiers juges auraient dû tenir compte du versement au titre du Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) dont a bénéficié la commune à la suite de la dépense en cause ; qu’en effet, si la collectivité a payé indûment 882,83 € de TVA, elle a bénéficié d’un reversement de 868,92 € au titre du FCTVA ; qu’en conséquence, selon M. X, le montant du préjudice serait de 13,91 € et la chambre régionale des comptes aurait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du reversement intervenu au profit de la commune ;

6. Attendu que selon la Procureure générale, la chambre s’est placée à la date du jugement pour apprécier le montant du préjudice et, à cette date, a estimé que le versement en provenance du FCTVA n’était pas définitivement acquis ; qu’en se prononçant ainsi sur le caractère définitivement acquis ou non des sommes rentrées en caisse, elle n’a pas commis d’erreur de droit dès lors qu’il revient au juge des comptes d’apprécier la réalité et la pérennité des reversements susceptibles de venir en diminution du montant du débet ; qu’en revanche, le juge des comptes peut être amené à tenir compte de l’ensemble du bouclage financier de l’opération lorsqu’il évalue le préjudice financier pour l’organisme public ;

Sur l’existence d’un préjudice financier pour la commune

7. Attendu qu’il appartient au juge des comptes d’apprécier l'existence et le montant du préjudice à la date à laquelle il statue en prenant en compte, le cas échéant, des faits postérieurs au manquement tels qu'un éventuel reversement dans la caisse du comptable de sommes correspondant à la dépense irrégulièrement payée ; qu’il statue sur ce point au vu des pièces du dossier et, en particulier, des éléments produits par le comptable, y compris postérieurement au manquement ; qu’il lui revient d’apprécier ces éléments et d’en estimer les conséquences sur l’évaluation du montant du préjudice ;

8. Attendu qu’aux termes du 10° du 4 de l’article 261 du code général des impôts, «  sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : (…) Les travaux de construction, d’aménagement, de réparation et d’entretien des monuments, cimetières ou sépultures commémoratifs des combattants, héros, victimes ou mort des guerres, effectués pour les collectivités publiques et les organismes légalement constitués agissant sans but lucratif  » ;

9. Attendu, par ailleurs, que les communes figurent au nombre des bénéficiaires du FCTVA en vertu de l’article 1615-2 du code général des collectivités territoriales ; que pour qu’une dépense puisse ouvrir droit à une attribution du fonds, elle doit avoir été grevée de TVA ; qu’après avoir examiné l’éligibilité des dépenses présentées par les bénéficiaires du fonds sur leurs états déclaratifs, les services préfectoraux sont tenus de prendre un arrêté d’attribution ; qu’ainsi que l’expose la circulaire du 21 juin 2013 susvisée, si le représentant de l’État dans le département  «  peut, à tout moment, demander le reversement des sommes versées par suite d’une erreur dans la procédure de liquidation ou de paiement, il ne peut, en principe, sauf cas de fraude,retirer une décision portant attribution du FCTVA, si elle est illégale, que dans un délai de quatre mois suivant la prise de cette décision  » ; qu’en effet, un arrêté portant attribution du FCTVA constitue une décision individuelle explicite créatrice de droits ; que selon la circulaire précitée «  il s’ensuit que, hormis dans les cas explicitement prévus par les articles L. 1615-9 et R. 1615-5 du code général des collectivités territoriales ou en cas de fausse déclaration, il ne peut être demandé à un bénéficiaire du fonds (…) de reverser le FCTVA, même s’il a été attribué à tort, plus de quatre mois après qu’ait été prise la décision d’attribution de la dotation  » ;

10. Attendu qu’il est établi, dans le cas d’espèce, que le versement en cause n’a pas fait l’objet d’une restitution de la part de la commune et que, par suite, il doit être considéré comme définitif ; qu’en affirmant le contraire, la chambre régionale des comptes a commis une erreur de droit ; que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de l’appelant, il y a lieu dès lors d’infirmer sur ce point le jugement du 14 juin 2019 ;

11. Attendu que  la somme de 868,92 €, reçue du FCTVA, doit être déduite du montant de la TVA versée, soit 882,83 €, pour établir le préjudice financier supporté par la commune du fait du manquement du comptable ; qu’ainsi, ce montant peut être arrêté à la somme de 13,91 € ; qu’aux termes du VI de l’article 60 modifié de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 «  (…) lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné (…), le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ; qu’il y a donc lieu de constituer                  M. X débiteur envers la commune de ladite somme, augmentée des intérêts de droit à compter du 26 avril 2018, date de notification au comptable du réquisitoire du procureur financier ;

Sur le contrôle sélectif de la dépense

12. Attendu que M. X a fait valoir devant les premiers juges que le mandat n° 1867 du 11 décembre 2015 a été contrôlé par ses services dans le cadre du plan de contrôle hiérarchisé de la dépense applicable à l’exercice 2015 ;

13. Attendu qu’en vertu du premier alinéa de l’article 42 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, le comptable public peut opérer les contrôles définis au 2° de l’article 19 et à l’article 20 du même texte de manière hiérarchisée, en fonction des caractéristiques des opérations relevant de la compétence des ordonnateurs et de son appréciation des risques afférents à celles-ci ; qu’à cet effet, il adapte l’intensité, la périodicité et le périmètre de ses contrôles des dépenses de l’État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, en se conformant à un plan de contrôle établi selon une méthodologie définie par le directeur général des finances publiques et suivant les règles fixées par un arrêté du ministre chargé du budget en date du 25 juillet 2013 ; que, dans ce cadre, l’appréciation que doit porter le juge des comptes sur le respect des règles de contrôle sélectif de la dépense ne peut être conditionnée à l’efficacité du contrôle de sorte que les règles du contrôle sélectif de la dépense doivent être considérées comme respectées dès lors que le comptable a bien sélectionné et visé le(s) mandat(s) que le plan lui demandait de contrôler ;

14. Attendu qu’il n’est pas contesté, au cas d’espèce, que le mandat qui a fait l’objet du manquement devait être contrôlé et qu’il l’a été effectivement, sans que ce contrôle ait permis de détecter l’irrégularité de la dépense ; qu’il résulte de ce qui précède que les règles du contrôle sélectif de la dépense doivent être considérées comme ayant été respectées ;

Sur la charge n° 2 (mandats n° s 243, 244 et 1387 d’un montant respectif de 19 196,87 €, 4 587,40 € et 1 138,61 €, exercice 2015)

15. Attendu que par trois mandats relatifs à des primes  d’assurances, imputés au compte 616, chapitre 011 « charges à caractère général, M. X a payé en 2015 des factures d’un montant total de 24 922,88 € ; que, faisant droit aux réquisitions du procureur financier, la chambre régionale des comptes a jugé qu’en acceptant cette imputation alors que les dépenses de l’espèce auraient dû être imputées à un compte 64, relevant du chapitre 012 « dépenses de personnel », le comptable avait manqué  à son obligation de contrôle de l'exacte imputation des dépenses au regard des règles relatives à la spécialité des crédits,  prévue par l’article 19 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, et qu’il avait ainsi engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire ; qu’en l’absence de préjudice financier subi par la commune et de circonstance de nature à justifier sa modulation, il y avait lieu d’arrêter la somme mise à la charge de M. X au maximum du montant réglementaire résultant du cautionnement fixé pour le poste comptable en 2015, soit 226,50 € ;

16. Attendu que l’appelant soutient, en premier lieu, que le réquisitoire ne lui faisait pas explicitement grief de ce défaut d’imputation et que les premiers juges auraient, selon lui, statué ultra petita ; qu’il argue, en second lieu, de la cohérence entre la nature de la dépense, les pièces justificatives produites et l’imputation pour dénier l’existence d’un manquement ; qu’en outre, il conteste l’imputation retenue par la chambre, incohérente selon lui avec ses propres recommandations ;

17. Attendu qu’ainsi qu’il a été dit à l’attendu n° 4, le premier moyen manque en fait ;

18. Attendu, s’agissant du second moyen, que pour apprécier la validité des créances, le comptable doit contrôler la production des justifications ; qu’à cet effet, il lui appartient d’apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense ; que pour établir ce caractère suffisant, il doit vérifier en premier lieu si l’ensemble des pièces requises par la nomenclature comptable ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont complètes et précises, mais aussi cohérentes au regard de la catégorie de dépenses définies dans la nomenclature et de la nature et de l’objet de la dépense ; qu’en matière de contrôle de l’exacte imputation de la dépense, la responsabilité du comptable peut être engagée en cas de contradiction ou d’anomalie manifeste ; 

19. Attendu que, dans le cas  d’espèce, les mandats pris en charge par le comptable  étaient appuyés de la pièce justificative prévue par la nomenclature instituée par l’article D. 1617-19 susvisé du code général des collectivités territoriales, soit un avis de paiement de l’assureur, et qu’ils étaient imputés à l’article 616 « assurances » ; que ces pièces sont, d’une part, complètes et précises, et, d’autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l’objet de la dépense telle qu’elle a été ordonnancée ; qu’il en résulte que le comptable était en mesure de déterminer la nature et l’objet de la dépense et donc de contrôler son exacte imputation ; qu’en substituant son analyse de la nature de la dépense à celle du comptable, sans établir que la dépense en cause n’était pas susceptible de se rattacher, par sa nature, au chapitre d’imputation ou que, au vu des pièces justificatives de ladite dépense, un doute existait sur son exacte imputation, la chambre régionale des comptes a commis une erreur de droit ; qu’ainsi et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués par l’appelant, le jugement n° 2019-0009 du 14 juin 2019 doit être infirmé dans ses dispositions relatives à la charge n° 2 ;

20. Attendu que le comptable a satisfait à ses obligations de contrôle de l’exacte imputation des dépenses en cause ; qu’il n’y a donc pas lieu d’engager sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;

Par ces motifs,

DÉCIDE  :

Article 1 er . – Le jugement de la chambre régionale des comptes Grand Est n° 2019-0009 du 14 juin 2019 est infirmé en ce qu’il a, au titre de l’exercice 2015, constitué M. X débiteur envers la commune de Drusenheim de la somme de 882,83 € (charge n° 1).

Article 2. – M. X est constitué débiteur, de la somme de 13,91 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 26 avril 2018, au titre de la charge n° 1.

Les règles du contrôle sélectif de la dépense ont été respectées.

Article 3. – Le jugement du 14 juin 2019 est infirmé en ce qu’il a prononcé une somme non rémissible de 226,50 € à l’encontre de M. X (charge n° 2).

Article 4. -  Il n’y a pas lieu d’engager la responsabilité de M. X au titre de la charge n°2.

Article 5. – La requête de l’appelant est rejetée pour le surplus.

Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Jean-Yves BERTUCCI, président de section, président de séance, MM. Olivier ORTIZ, Yves ROLLAND, conseillers maîtres, Mmes Dominique DUJOLS,    Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillères maîtres, et M. Jérôme-Michel MAIRAL, conseiller maître.

En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.

Aurélien LEFEBVRE

Jean-Yves BERTUCCI

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.

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