COUR DES COMPTES - Septième Chambre - Arrêt d'appel - 22/12/2022

COUR DES COMPTES - Septième Chambre - Arrêt d'appel - 22/12/2022

Centre hospitalier de Bar-le-Duc (Meuse) - Exercices 2014 à 2018 - Appel d'un jugement de la chambre régionale des comptes Grand Est - n° S-2022-2128

La Cour,

Vu les requêtes respectivement enregistrées les 3 et 10 juin 2022 au greffe de la chambre régionale des comptes Grand Est, par lesquelles MM. X et Y, comptables du centre hospitalier de Bar-le-Duc, ont élevé appel du jugement n° 2022-05 du 31 mars 2022 de la chambre régionale des comptes Grand Est qui les a constitués débiteurs envers cet établissement pour avoir causé, par leur défaut de diligences, la perte de créances ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance, et notamment le réquisitoire du procureur financier près la chambre régionale des comptes Grand Est n° 2021-0052 du 1 er  septembre 2021 ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

Vu le rapport de M. Patrick BONNAUD, conseiller maître, magistrat chargé de l’instruction ;

Vu les conclusions du Procureur général n° 626 du 25 novembre 2022 ;

Entendu lors de l’audience publique du 6 décembre 2022, M. BONNAUD, en son rapport, M. Alain SLAMA, substitut général, en les conclusions du ministère public, les autres parties, informées de l’audience, n’étant ni présentes, ni représentées ;

Entendu en délibéré M. Denis BERTHOMIER, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;

1. Attendu que, par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes Grand Est a, au titre de la charge n° 1, constitué M. Y, M. X et Mme Z débiteurs envers le centre hospitalier de Bar-le-Duc pour avoir, par défaut de diligences suffisantes, causé la perte de créances de cet établissement public ;

2. Attendu que les appelants demandent à la Cour, chacun pour ce qui le concerne, mais par des moyens identiques, d’infirmer le jugement de la chambre régionale des comptes Grand Est en ce qu’il a dit qu’ils avaient manqué à leurs obligations et, subsidiairement, en ce que ce manquement a causé un préjudice financier au centre hospitalier de Bar-le-Duc ; qu’il y a donc lieu de statuer sur leurs appels par un arrêt unique ;

Sur la recevabilité de l’appel incident formé par Mme Z

3. Attendu que, informée par lettre du 23 août 2022 par le greffe de la chambre régionale des comptes Grand Est des appels interjetés par MM. Y et X, Mme Z a, par courriel du 30 août 2022, formé un appel incident contre le même jugement ; que cet appel porte sur la charge n° 1, pour ce qu’elle concerne Mme Z ;

4. Attendu qu’un appel incident doit répliquer à l’appel principal en ce que celui-ci est dirigé contre l’intérêt de l’appelant incident ; que, justifié par l’argumentation ou les conclusions de l’appelant principal, il ne peut donc être dirigé que contre cette argumentation et non contre le jugement lui-même ; que, dans le cas présent, Mme Z reprend les moyens et conclusions de MM. Y et X à l’encontre de la charge n° 1, pour sa propre gestion ; que ses demandes sont ainsi étrangères à l’appel principal ; qu’il s’ensuit que l’appel incident de Mme Z est irrecevable ;

5. Attendu que Mme Z a accusé réception du jugement entrepris le 15 avril 2022 ; que, formé le 30 août 2022, son appel incident ne peut être requalifié en appel principal, le délai de deux mois fixé par l’article R. 242-23 du code des juridictions financières étant dépassé ;

Sur la procédure

6. Attendu que MM. Y et X font valoir que la procédure désavantage les comptables sortis de fonctions, qui n’ont aucun moyen d’obtenir, au besoin par voie de contrainte, les pièces nécessaires à leur défense ; qu’ils estiment regrettable que la chambre régionale des comptes Grand Est n’ait pas mené, auprès de l’ordonnateur ou du comptable en fonctions, les investigations complémentaires qui lui auraient permis de disposer des mandats d’annulation ; que ce défaut d’action de la chambre régionale des comptes Grand Est serait de nature à avoir causé une rupture de l’égalité des armes ;

7. Attendu qu’aux termes de l’article R. 242-4 du code des juridictions financières, «  Lorsqu’une instance a été ouverte dans les conditions prévues à l’articleL. 242-4, le réquisitoire du ministère public, ainsi que le nom du ou des magistrats chargés de l’instruction et, le cas échéant, celui du ou des vérificateurs, sont notifiés à chacun des comptables patent ou de fait mis en cause, ainsi qu’à l’ordonnateur en fonctions  » ; qu’aux termes de l’article R. 242-5 du même code, «  Les parties à l’instance auxquelles un réquisitoire a été notifié peuvent, dès cette notification, adresser au greffe de la chambre leurs observations écrites ou des documents, qui sont communiqués à chacune des autres parties. Ces pièces sont versées au dossier […]  » ;

8. Attendu ainsi que, à la suite de la notification du réquisitoire susvisé, il revenait aux comptables mis en cause de rechercher et de produire toutes pièces, y compris postérieures aux faits, qu’ils estimaient pouvoir venir à leur décharge ; que la procédure n’est donc pas irrégulière au motif que le rapporteur n’aurait pas diligenté des investigations complémentaires ;

9. Attendu, par ailleurs, qu’il n’apparaît pas que, dans le cas présent, le ministère public ou l’ordonnateur aient bénéficié d’un accès privilégié aux documents auxquels les comptables allèguent n’avoir pu accéder ; qu’en tout état de cause, MM. Y et X ont pu produire lesdits documents à l’appui de leur requête en appel ; qu’ainsi la rupture de l’égalité des armes n’est pas établie ; qu’il y a donc lieu de rejeter ce moyen ;

Sur le fond

En ce qui concerne le manquement

10. Attendu que les appelants font valoir que les titres en cause correspondaient à des créances inexistantes, ainsi que le prouverait leur annulation ; que le juge des comptes ne saurait donc leur faire grief d’avoir causé la perte de créances par leur défaut de diligences ;

11. Attendu que les éléments produits à décharge établissent que l’organisme débiteur, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), a rejeté le paiement des titres en cause pour divers motifs, dont aucun ne remet en cause explicitement le fondement de la créance ; que l’ordonnateur, dans ses productions, fait valoir qu’il a prononcé l’annulation des titres litigieux sans procéder à l’émission de nouveaux titres, en raison de la prescription des créances ; que les mandats d’annulation des créances en cause ont été produits en appel ; que pour autant, aucune pièce au dossier n’établit que ces créances, lors des exercices poursuivis, n’avaient pas à être recouvrées ;

12. Attendu que les lacunes du dispositif de suivi des créances entre la CPAM, le centre hospitalier de Bar-le-Duc et le poste comptable ne sauraient délier les comptables de leurs obligations en matière de recouvrement des créances qu’ils ont pris en charge ;

13. Attendu, en conséquence qu’il y a lieu de rejeter ce moyen ;

14. Attendu cependant qu’il ressort de l’instruction que le titre n° 14-63459 du 7 janvier 2015 correspond à la même créance que celle portée par le titre n° 13-33742 du 26 juin 2013 ; que cette circonstance établit suffisamment que ce dernier titre n’avait pas à être recouvré ; qu’il y a lieu, pour ce motif, d’infirmer le jugement en ce qu’il a constitué M. X débiteur envers l’établissement de la somme de 5 202,85 € au titre de l’exercice 2017 au motif du non recouvrement du titre n° 13-33742 ;

En ce qui concerne le préjudice

15. Attendu que, se fondant sur diverses décisions du Conseil d’État, les appelants font valoir qu’après s’être prononcé sur le manquement des comptables à leurs obligations en matière de recouvrement, il appartient au juge des comptes d’apprécier les éléments produits, nonobstant l’absence des mandats d’annulation, et de constater l’irrécouvrabilité des titres en raison du caractère non certain des créances ; que c’est à tort que la chambre régionale des comptes Grand Est n’a pas admis les éléments produits comme établissant l’incertitude des créances et qu’elle a méconnu son office en n’exerçant pas son pouvoir de communication auprès de l’ordonnateur et du comptable en poste pour obtenir confirmation de l’annulation des titres ;

16. Attendu que le défaut de recouvrement d’une créance cause, en principe, un préjudice financier à la collectivité concernée ; que toutefois il n’y a pas préjudice lorsque la preuve est apportée qu’en toute hypothèse la créance n’aurait pas pu être recouvrée ;

17. Attendu à cet égard que les éventuelles erreurs de liquidation dans les sommes dues ne sont pas détaillées ; qu’en tout état de cause, nonobstant l’annulation ultérieure des titres litigieux, l’inexistence des créances n’est pas établie par des pièces ; que par ailleurs les CPAM sont réputées disposer des ressources nécessaires au remboursement de frais médicaux exposés par les hôpitaux ; qu’ainsi la preuve de l’irrécouvrabilité des créances n’est pas apportée par les appelants ;

18. Attendu qu’il résulte de ce qui précède que le manquement des comptables à leurs obligations de diligences est la cause d’un préjudice subi par l’établissement ; qu’en l’absence de preuve contraire apportée par les appelants, ce préjudice est réputé s’établir à hauteur du montant intégral des titres non recouvrés, sous réserve de ce qui a été exposé au point 14 ci-dessus ; qu’il y a donc lieu de rejeter les moyens des appelants tenant à l’absence de préjudice financier ;

Par ces motifs,

DÉCIDE  :

Article 1 er . – La requête de Mme Z est irrecevable.

Article 2. – Le jugement est infirmé en ce qu’il a constitué M. X débiteur envers le centre hospitalier de Bar-le-Duc de la somme de 5 202,85 € au motif du non recouvrement du titre n° 13-33742. Il n’y a pas lieu à charge s’agissant de cette opération.

Article 3. – Les requêtes de MM. Y et X sont rejetées pour le surplus.

Fait et jugé par M. Philippe GEOFFROY, président de section, président de la formation ; M. Denis BERTHOMIER, conseiller maître, Mme Catherine PAILOT-BONNÉTAT, conseillère maître, MM. Patrick SITBON et Claude LION, conseillers maîtres.

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous commissaires de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par

Vanessa VERNIZEAU

Philippe GEOFFROY

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.

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