COUR DES COMPTES - CHAMBRE DU CONTENTIEUX - Arrêt d'appel - 21/02/2023

COUR DES COMPTES - CHAMBRE DU CONTENTIEUX - Arrêt d'appel - 21/02/2023

Syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU) de l'opéra du Rhin - Exercices 2015 à 2018 - Appel d'un jugement de la chambre régionale des comptes Grand Est - n° S-2023-0084

La Cour,

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le II de l’article 29 de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics ;

Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

Vu le IV de l’article 11 du décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022 relatif à la chambre du contentieux de la Cour des comptes et à la Cour d’appel financière et modifiant le code des juridictions financières ;

Vu le décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l’État et dans la magistrature et l’arrêté du 28 août 2009 pris pour son application ;

Vu la requête enregistrée le 2 août 2022 au greffe de la chambre régionale des comptes Grand Est, par laquelle M. X, comptable du syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU) de l’opéra du Rhin du 1 er septembre 2015 au 31 décembre 2018, a élevé appel du jugement n° 2022-0014 du 1 er juin 2022 par lequel ladite juridiction l’a constitué débiteur envers ce syndicat d’une somme de 17 132,72 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 9 juin 2021, au titre du versement d’une indemnité «  réduction du temps de travail (RTT)  » à une salariée du SIVU, au cours de sa gestion pour les exercices 2016, 2017 et 2018 ;

Vu la requête enregistrée au greffe de la même chambre le 5 septembre 2022 par laquelle M. Y, comptable de ce syndicat du 1 er janvier au 31 août 2015, a élevé appel incident du même jugement, qui l’a constitué sur le même fondement débiteur envers ce syndicat d’une somme de 5 396,60 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 9 juin 2021, au titre du même motif, au cours de sa gestion 2015 ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance, notamment le réquisitoire n° 2021-0022 du 6 mai 2021 du procureur financier près la chambre régionale des comptes Grand Est ;

Vu le rapport n° R-2022-1017-1 de M. Denis BERTHOMIER, conseiller maître, magistrat chargé de l’instruction ;

Vu la convocation de MM. X et Y, ainsi que de Mme la présidente du SIVU de l’opéra du Rhin, à l’audience publique du 24 janvier 2023 notifiée aux intéressés le 13 janvier 2024 ;

Vu la lettre de Maître Didier CLAMER, informant de l’absence de Mme la présidente du SIVU de l’opéra du Rhin à l’audience ;

Vu les conclusions du Procureur général n° 028 du 20 janvier 2023 ;

Vu la lettre de M. Y, demandant à ne pas comparaître à l’audience ;

Vu le courriel de M. X, informant de son absence à l’audience ;

Entendu lors de l’audience publique du 24 janvier 2023, M. Benoît GUÉRIN, avocat général, en les conclusions du ministère public, les autres parties informées de l’audience, n’étant ni présentes, ni représentées ;

Entendu en délibéré M. Patrick BONNAUD, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;

1. Par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes Grand Est a notamment constitué MM. Y et X débiteurs envers le SIVU de l’opéra du Rhin, au titre de la charge n° 4, d’une somme de 5 396,60 € pour le premier, et d’une somme totale de 17 132,72 € pour le second, toutes deux augmentées des intérêts de droit à compter du 9 juin 2021, au titre du versement d’une indemnité « RTT » à une salariée du SIVU, au cours de leurs gestions respectives pour les exercices 2015 à 2018.

Sur la recevabilité des requêtes

2. La requête de M. X remplit les conditions de forme et de délai en ce qu’elle conteste les dispositions du jugement relatives à sa charge n° 4. Elle est donc recevable, dans ces limites.

3. M. Y a transmis le 5 septembre 2022 à la chambre régionale des comptes Grand Est une «  Requête en mémoire valant appel  » dirigée contre le jugement précité et reprenant les mêmes moyens, exprimés dans les mêmes termes. Cette demande formulée dans un mémoire adressé à la chambre régionale des comptes Grand Est peut aussi être entendue comme formant appel de la décision entreprise.

4. M. Y a reçu notification du jugement entrepris le 14 juin 2022. À la date de l’enregistrement de son mémoire au greffe de la chambre régionale des comptes Grand Est, le délai de deux mois fixé par l’article R. 242-23 du code des juridictions financières, alors applicable, était échu. Son appel est ainsi irrecevable au principal.

5. Par ailleurs, les demandes de M. Y portant sur les dispositions relatives à sa propre gestion, elles sont étrangères à l’appel principal formé par M. X dans les limites de recevabilité de celui-ci, et ne peuvent être admises au titre d’un appel incident.

6. Il en résulte que la demande de M. Y n’est pas recevable devant la Cour des comptes.

Sur la régularité de la procédure de première instance

7. M. X, en sa requête, relève que le débet prononcé à son encontre est fondé sur le constat d’une erreur de liquidation de l’indemnité « RTT » de Mme H. au regard des règles internes au SIVU. Il fait valoir que le grief a évolué entre le réquisitoire et le jugement ; que le jugement comporte des dispositions inexactes et contradictoires ; que lui sont opposées des erreurs de liquidation non établies, non contredites et ne reposant que sur une production hors le compte de son prédécesseur et ne portant que sur la seule gestion de celui-ci.

8. Il souligne que le réquisitoire lui faisait grief d’avoir payé des dépenses sans disposer des pièces justificatives prévues par la nomenclature applicable ; que les conclusions du procureur financier reprennent tout d’abord ce grief puis avancent une autre position selon laquelle l’accord sur l’aménagement de la réduction du temps de travail (ARTT) validé par délibération du SIVU en 2003 peut tenir lieu de pièce justificative mais que les versements ne respectent pas les plafonds autorisés par l’arrêté du 28 août 2009 pris pour l’application du décret du 29 avril 2002 susvisé ; que le jugement entrepris admet comme pièces justificatives valides et régulières l’accord ARTT et la délibération du 19 décembre 2003, qui l’approuve, ainsi que les décisions individuelles produites, exclut que le comptable ait dû les écarter au motif qu’elles auraient accordé des indemnités supérieures au montant fixé par l’arrêté du 28 août 2009 pris en application du décret du 29 avril 2002 susvisé, constate que ces éléments permettaient au comptable de contrôler la liquidation, retient que les éléments fournis par M. Y, pour la seule année 2015, pour justifier le paiement de la prime sont erronés et rejette, en conséquence, la totalité des paiements sur les quatre exercices.

9. Il fait valoir, de plus, n’avoir pas «  ressenti, au moment de l’instruction, le besoin de [son] côté  » de justifier plus avant l’exactitude de la liquidation qui ressortait suffisamment des pièces justificatives dont il disposait au moment des paiements.

10. Il ressort de cette partie de la requête que l’appelant reproche au jugement de s’être prononcé en dehors de ce que requérait initialement le ministère public, de n’avoir pas respecté la règle du contradictoire, de comprendre des dispositions inexactes et contradictoires, et d’avoir insuffisamment motivé le rejet des paiements effectués en 2016, 2017 et 2018.

11. Le réquisitoire fait grief aux comptables d’avoir payé une indemnité à Mme H. sans disposer de la délibération institutive et des décisions individuelles nécessaires, de ce que ce défaut de pièces interdisait au comptable de contrôler la liquidation, et subsidiairement de n’avoir pas relevé que les paiements de l’espèce étaient supérieurs au maximum prévu par l’arrêté susmentionné du 28 août 2009.

12. Le jugement reconnaît que l’accord ARTT et sa délibération approbative constituent la délibération institutive ; que, par effet du contrat de travail de l’agent les dispositions de cet accord lui sont applicables ; que les décisions individuelles ont été produites ; qu’il n’appartenait pas au comptable de relever que le montant attribué par le SIVU et suffisamment justifié par les pièces à l’appui des paiements n’était pas conforme à l’arrêté du 28 août 2009 précité ; que le comptable disposait des pièces nécessaires au contrôle de la liquidation.

13. À ce point du jugement, il est constant que toutes les présomptions de charge du réquisitoire ont été examinées et rejetées par la chambre régionale des comptes Grand Est.

14. Ce n’est qu’après cette démonstration que la chambre régionale des comptes Grand Est, se fondant sur le seul décompte produit par M. Y pour la seule année 2015, sans donner aucune explication de calcul, affirme que les calculs sont erronés, que le fait pour le comptable de n’avoir pas relevé les erreurs démontre qu’il n’a pas contrôlé la liquidation et que ce défaut de contrôle ne permet pas d’établir la validité de la dette.

15. Contrairement à ce qu’a soutenu oralement le représentant du ministère public à l’audience, la mention dans le réquisitoire introductif de l’instance du fait que le comptable «  ne disposait ni des pièces prévues par la nomenclature, ni des pièces permettant d’assurer les vérifications relatives à la liquidation  » ne suffit pas à établir que ce réquisitoire portait le grief sur lequel la chambre régionale des comptes Grand Est a fondé sa décision.

16. Il en résulte qu’en se prononçant sur une erreur de liquidation non explicitement visée par le réquisitoire, la chambre régionale des comptes Grand Est a statué au-delà de ce que lui demandait le ministère public et ainsi vicié sa décision.

17. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d’annuler le jugement n° 2022-0014 du 1 er  juin 2022, rendu par la chambre régionale des comptes Grand Est sur la gestion de M. X en toutes ses dispositions relatives à la charge n° 4 et, l’affaire étant en état d’être jugée, il y a lieu de l’évoquer et de statuer sur le réquisitoire n° 2021-0022 du 6 mai 2021 susvisé.

Sur le manquement

18. Le réquisitoire susmentionné allègue l’absence de délibération fixant la nature, les conditions d’attribution et le taux moyen des indemnités instaurant le remboursement des RTT ou de disposition au contrat de l’intéressée prévoyant un tel remboursement et l’absence de décision fixant le taux applicable à l’intéressée, pour demander au juge de dire que les paiements sont dépourvus de fondement juridique. Subsidiairement, au cas où l’accord sur le temps de travail serait admis comme fondant le droit de Mme H. à percevoir l’indemnité « RTT », il lui demande de constater que les montants versés à Mme H. sont supérieurs à ceux autorisés par arrêté, soit un maximum de 125 € par jour non pris et de rejeter le trop payé. Sur le même fondement, il demande à la chambre régionale des comptes Grand Est de constater que, à défaut des pièces justificatives suscitées, le comptable ne pouvait assurer les vérifications relatives à la liquidation.

19. L’accord sur la réduction et l’aménagement du temps de travail à l’opéra national du Rhin, approuvé par délibération du 19 décembre 2003 attribue, en son chapitre 7, aux personnels cadres du SIVU, catégorie de laquelle relève Mme H., 22 jours de repos supplémentaires par année civile (jours de RTT). Il dispose que, en fin de période de référence, le reliquat de jours de RTT non utilisés pourra être «  rémunéré sur la base de 1/21,667 ème du salaire mensuel brut par jour (base + 18 %) en date de valeur du jour de la décision  ». Ces pièces valent décision de l’assemblée délibérante fixant la nature, les conditions d’attribution et le taux moyen des indemnités au sens de la rubrique 210223 de la nomenclature des pièces justificatives des dépenses publiques locales établie à l’annexe I du code général des collectivités territoriales susvisé.

20. Des décisions datées des 16 février 2015, 17 février 2016, 16 février 2017 et 19 février 2018 ont été produites qui arrêtent le nombre de jours reliquataires, rappellent le taux de 1/21,667 ème et arrêtent le montant total à payer, soit 5 396,60 €, 5 659,94 €, 5 735,40 € et 5 737,38 € pour chacune des années 2015 à 2018. Ces décisions sont appuyées d’un décompte reprenant le nombre de jours, le taux de 1/21,667 ème , la base calculée en appliquant le taux au montant du salaire brut au sens de l’accord ARTT et le montant à payer, obtenu en multipliant cette base par le nombre de jours reliquataires. Ces décisions valent décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination fixant le taux applicable à chaque agent au sens de la rubrique 210223 de la nomenclature des pièces justificatives des dépenses publiques locales établie à l’annexe I du code général des collectivités territoriales susvisé.

21. Pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications. À ce titre, il leur revient d’apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée. Pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l’ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable lorsqu’elle existe a été produit, et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d’une part, complètes et précises, d’autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l’objet de la dépense telle qu’elle a été ordonnancée. Si ce contrôle peut conduire les comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l’origine de la créance et s’il leur appartient alors d’en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n’ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité.

22. Dans le cas présent, les deux pièces justificatives prévues par la nomenclature pour justifier l’indemnité ont été produites. Leur application ne nécessitait aucune interprétation de la part du comptable. Il ne lui appartenait donc pas de relever la différence existant entre le montant de l’indemnité « RTT » liquidée au profit de Mme H. en application des règles propres au SIVU telles que fixées par un acte exécutoire, et celui qui aurait résulté de l’application de l’arrêté du 28 août 2009 pris en application du décret du 29 avril 2002 susvisé.

23. En conséquence, il n’y a pas lieu d’engager la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X du chef de la charge n° 4 soulevée par le réquisitoire n° 2021-0022 du 6 mai 2021.

24. Au surplus l’application des règles propres au SIVU aurait dû conduire à ce que soient payées à Mme H., en 2015 et 2016, les sommes qui lui ont été payées, en 2017, la somme de 5 749,49 €, soit 14,09 € de plus que ce qui lui a été versé et, en 2018, 5 800,15 €, soit 62,77 € de plus que ce qui lui a été versé.

25. Ces différences peuvent conduire le juge des comptes à considérer que le comptable a manqué à son obligation de contrôle de la liquidation. Cependant, ce défaut de contrôle n’est de nature à engager la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public, aux termes de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, que si une dépense a été irrégulièrement payée. Or, dans le cas présent, ce qui a été payé était réellement dû à Mme H. Si celle-ci reste créancière du SIVU pour les restes à payer de 2017 et 2018, elle a été valablement désintéressée pour les sommes qui lui ont été versées et qui étaient suffisamment justifiées par les pièces produites. En l’absence de paiement irrégulier il n’y a pas lieu d’engager la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X en raison de ces paiements.

Par ces motifs,

DÉCIDE  :

Article 1 er . – La requête de M. X est recevable.

Article 2. – La requête de M. Y est irrecevable.

Article 3. – Les dispositions du jugement relatives à la charge n° 4 sont annulées en ce qu’elles concernent la gestion de M. X au titre des exercices 2016, 2017 et 2018.

Article 4. – Il n’y a pas lieu à charge à l’encontre de M. X au titre de la charge n° 4 du réquisitoire.

Fait et jugé par M. Jean-Yves BERTUCCI, président de chambre, président de la formation ; MM. Daniel-Georges COURTOIS, Patrick BONNAUD, Claude LION, conseillers maîtres, M. Laurent CATINAUD, premier conseiller de chambre régionale des comptes, Mme Marion BARBASTE, première conseillère de chambre régionale des comptes.

En présence de Mme Vanessa VERNIZEAU, greffière de séance.

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous commissaires de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par

Vanessa VERNIZEAU

Jean-Yves BERTUCCI

Conformément aux dispositions du IV de l’article 11 du décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022 relatif à la chambre du contentieux de la Cour des comptes et à la Cour d’appel financière et modifiant le code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes sur les appels des jugements rendus par les chambres régionales des comptes avant le 1 er janvier 2023 peuvent faire l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’État. La révision d’un arrêt peut être demandée après expiration du délai pour se pourvoir en cassation, et ce dans les conditions prévues aux articles R. 142-4-6 et R. 142-4-7 du même code.

Vous ne trouvez pas ce que vous cherchez ?

Demander un document

Avertissement : toutes les données présentées sont fournies directement par la DILA via son API et ne font l'objet d'aucun traitement ni d'aucune garantie.

expand_less