COUR DES COMPTES - CHAMBRE DU CONTENTIEUX - Arrêt - 29/06/2023

COUR DES COMPTES - CHAMBRE DU CONTENTIEUX - Arrêt - 29/06/2023

Établissement d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (EHPAD) « Le Clos du Parc » à Vernou-sur-Brenne (Indre-et-Loire) - Arrêt après cassation du Conseil d’État - Appel d’un jugement de la chambre régionale des comptes Centre-Val de Loire - n° S-2023-0825

La Cour,

Vu le code général des collectivités territoriales et, notamment, l’annexe I à l’article D. 1617‑19 ;

Vu le code des juridictions financières, dans ses versions antérieure et postérieure au 1 er  janvier 2023 ;

Vu le code de justice administrative et notamment son article L. 821-2 ;

Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, et, notamment, le II de son article 29 ;

Vu le décret n° 88-1084 du 30 novembre 1988 relatif à l’indemnité horaire pour travail normal de nuit et à la majoration pour travail intensif ;

Vu le décret n° 92-7 du 2 janvier 1992 instituant une indemnité forfaitaire pour travail des dimanches et jours fériés  ;

Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

Vu le décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022 relatif à la chambre du contentieux de la Cour des comptes et à la Cour d’appel financière et modifiant le code des juridictions financières et notamment le IV de son article 11 ;

Vu la décision n° 446136 du 17 février 2023, par laquelle le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la Cour des comptes n° S-2020-1334 du 10 septembre 2020 et a renvoyé l’affaire à la Cour des comptes ;

Vu la requête enregistrée le 29 novembre 2019 au greffe de la chambre régionale des comptes Centre-Val de Loire, par laquelle M. X, comptable de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) « Le Clos du Parc » à Vernou-sur-Brenne pour l’exercice 2016, a élevé appel du jugement n° 2019-0011 du 4 octobre 2019 par lequel ladite juridiction l’a constitué débiteur envers cet établissement à raison de manquements tenant au paiement de mandats en l’absence des pièces justificatives requises ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance, notamment le réquisitoire n° R/19/008/J du 18 mars 2019 et les pièces produites en appel ;

Vu les pièces de la procédure suivie en cassation ;

Vu la décision du 24 février 2023 par laquelle le président de la chambre du contentieux a désigné M. Patrick BONNAUD, conseiller maître, magistrat chargé de l’instruction de l’affaire, notifiée le 24 mars 2023 à M. X et le 27 mars 2023 à l’ordonnateur de l’EHPAD « Le Clos du Parc » ;

Vu l’ordonnance de règlement n° 593 du 26 avril 2023, notifiée le 2 mai 2023 à M. X, le 27 avril 2023 à l’ordonnateur de l’EHPAD « Le Clos du Parc » et le 28 avril 2023 au ministère public, lesdites notifications emportant également celle de la date de l’audience du 6 juin 2023 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Entendu lors de l’audience publique du 6 juin 2023, M. Pierre VAN HERZELE, avocat général, en les conclusions du ministère public ; les autres parties, informées de l’audience, n’étant ni présentes, ni représentées ;

Entendu en délibéré M. Vincent FELLER, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;

Sur la procédure

1. Saisie par réquisitoire du 18 mars 2019 du procureur financier placé auprès d’elle, la chambre régionale des comptes Centre-Val de Loire a, par le jugement susvisé, constitué, au titre des charges n° 1 et 2, M. X débiteur envers l’EHPAD « Le Clos du Parc » de la somme de 6 483,70 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 27 mars 2019, pour avoir payé d’une part, des indemnités horaires pour travail des dimanches et jours fériés à trois agents, d’autre part des indemnités horaires pour travail normal de nuit et une majoration spéciale pour travail intensif à deux agents, sans disposer, à l’appui d’aucun de ces paiements, des décisions individuelles d’attribution.

2. Par arrêt n° S-2020-1334 du 10 septembre 2020, la Cour des comptes a rejeté l’appel formé par M. X contre ces dispositions du jugement.

3. Par sa décision susvisée du 17 février 2023, le Conseil d’État a fait droit au pourvoi du ministre de l’économie, des finances et de la relance et annulé l’arrêt de la Cour des comptes.

4. L’article L. 821-2 du code de justice administrative dispose : «  S’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d’État peut soit renvoyer l’affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l’affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie . ».

5. Faisant application de ces dispositions, le Conseil d’État a renvoyé l’affaire à la Cour des comptes.

6. Cette décision du Conseil d’État remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient lorsqu’a été formé l’appel contre le jugement précité de la chambre régionale des comptes Centre-Val de Loire.

7. Aux termes du IV de l’article 11 du décret du 22 décembre 2022 susvisé, «  Les jugements rendus par les chambres régionales des comptes avant le 1 er  janvier 2023 sont susceptibles d’appel devant la Cour des comptes. Les arrêts rendus par la Cour des comptes sur ces appels peuvent faire l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’État.  » Le renvoi à la Cour des comptes prononcé par le Conseil d’État, nonobstant la création, au 1 er  janvier 2023, d’une Cour d’appel financière, a saisi la Cour des comptes de l’affaire.

8. Le II de l’article 29 de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée dispose : «  II. - Les dispositions relatives au régime de responsabilité des comptables publics patents et assimilés, des comptables de fait, des régisseurs, des trésoriers militaires et des comptables des organismes primaires de sécurité sociale demeurent applicables dans leur version antérieure à la présente ordonnance aux opérations ayant fait l’objet d’un premier acte de mise en jeu de leur responsabilité notifié avant le 1 er  janvier 2023, lorsque le manquement litigieux a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné.  ».

9. Le réquisitoire du 18 mars 2019 susvisé a constitué le premier acte de mise en jeu de la responsabilité de M. X. La Cour reste donc compétente pour juger l’appel formé contre le jugement entrepris, selon les règles posées par l’article 60 précité de la loi 23 février 1963 susvisée.

10. En application, tant des dispositions précitées du code de justice administrative que des principes généraux de la procédure contentieuse, la formation de jugement de la Cour des comptes appelée à connaître de la présente affaire est autrement composée que celle qui a prononcé l’arrêt précité du 10 septembre 2020.

Sur les faits de la cause

11. En exécution des mandats suivants :

12. M. X a versé à trois agents de l’EHPAD des indemnités forfaitaires pour travail des dimanches et jours fériés pour un total de 3 739,15 €.

13. En exécution des mandats suivants :

M. X a versé à deux agents de l’EHPAD des indemnités horaires pour travail de nuit, augmentées de la majoration spéciale pour travail intensif, pour un montant total de 2 744,55 €.

14. L’annexe I à l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales, applicable aux établissements publics de santé et aux établissements sociaux et médico-sociaux, fixant la liste des pièces justificatives des paiements, prévoit à la rubrique 220223, à l’appui des dépenses relatives au primes et indemnités des personnels non médicaux, la production d’une «  décision individuelle d’attribution prise par le directeur, ou, pour les agents contractuels mention au contrat, et, pour la prime de service, décompte précisant les modalités de détermination du crédit global affecté au paiement de la prime  ».

15. Aucune décision individuelle d’attribution n’était jointe au paiement.

Sur le manquement

16. D’une part, aux termes des dispositions de l’article 1 er du décret du 2 janvier 1992 susvisé, «  Les fonctionnaires et agents des établissements mentionnés à l’article 2 du titre IV du statut général des fonctionnaires (…) perçoivent, lorsqu’ils exercent leurs fonctions un dimanche ou un jour férié, une indemnité forfaitaire sur la base de huit heures de travail effectif, dont le montant est fixé par arrêté conjoint du ministre du budget et du ministre chargé de la santé.  ». L’article 2 du même décret prévoit que l’indemnité forfaitaire est payée mensuellement à terme échu. Par ailleurs, aux termes de l’article 1 er du décret du 30 novembre 1988 susvisé, « Les fonctionnaires titulaires et stagiaires des établissements mentionnés à l’article 2 de la loi du 9 janvier 1986 (…) qui assurent totalement ou partiellement leur service normal dans le cadre de la durée hebdomadaire du travail entre vingt et une heures et six heures perçoivent des indemnités horaires dont le taux est fixé par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé du budget  ». En vertu de l’article 2 du même décret, dans sa version applicable à l’espèce, lorsque le service normal de nuit nécessite un travail intensif, les indemnités horaires font, en outre, l’objet d’une majoration qui est attribuée notamment aux corps des aides-soignants et des agents des services hospitaliers qualifiés de la fonction publique hospitalière.

17. D’autre part, aux termes de l’article 50 du décret du 7 novembre 2012 susvisé, « (...) la liste des pièces justificatives des dépenses, des recettes et des opérations d’ordre des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et des établissements publics de santé est fixée par décret. /  (...) ». Aux termes de l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales, «  Avant de procéder au paiement d’une dépense ne faisant pas l’objet d’un ordre de réquisition, les comptables publics des collectivités territoriales, des établissements publics locaux (...) ne doivent exiger que les pièces justificatives prévues pour la dépense correspondante dans la liste définie à l’annexe I du présent code . ». Aux termes de la rubrique 220223 de l’annexe I du code, «  220223. Primes et indemnités : / (...) / c) Primes et indemnités des personnels non médicaux : / (...) / 2. Autres primes et indemnités : » doivent être produite une « Décision individuelle d’attribution prise par le directeur, Ou, pour les agents contractuels, mention au contrat / (...)  ».

18. Il résulte de ces dispositions que le comptable public doit, lorsqu’il procède au paiement des indemnités forfaitaires pour travail les dimanches et jours fériés et des indemnités horaires pour travail de nuit intensif, exiger, au titre des pièces justificatives, la production d’une décision individuelle d’attribution prise par le directeur de l’établissement.

19. En premier lieu, s’agissant des indemnités forfaitaires pour travail des dimanches et jours fériés, le comptable, à l’appui du paiement des indemnités en cause, disposait des tableaux mensuels de service, indiquant nominativement les journées de présence effectivement réalisées par les agents concernés, établis et signés par l’ordonnateur dans le cadre des astreintes. Ces tableaux ne pouvaient tenir lieu de décisions individuelles d’attribution que le comptable public est tenu d’exiger, avant de procéder au paiement des indemnités forfaitaires pour travail des dimanches et jours fériés aux personnels non médicaux des établissements publics sociaux et médico-sociaux.

20. En second lieu, s’agissant des indemnités horaires pour travail de nuit intensif, les tableaux mensuels de service, établis et signés par l’ordonnateur dans le cadre des astreintes, ne pouvaient tenir lieu de décisions individuelles d’attribution que le comptable public est tenu d’exiger, avant de procéder au paiement des indemnités en cause.

21. Le manquement du comptable à ses obligations est établi. M. X n’est donc pas fondé à demander l’infirmation du jugement entrepris sur ce point.

Sur le préjudice

22. Pour déterminer si le paiement irrégulier d’une dépense par un comptable public a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné, il appartient au juge des comptes de vérifier, au vu des éléments qui lui sont soumis à la date à laquelle il statue, si la correcte exécution, par le comptable, des contrôles lui incombant aurait permis d’éviter que soit payée une dépense qui n’était pas effectivement due. Lorsque le manquement du comptable porte sur l’exactitude de la liquidation de la dépense et qu’il en est résulté un trop-payé, ou conduit à payer une dépense en l’absence de tout ordre de payer ou une dette prescrite ou non échue, ou à priver le paiement d’effet libératoire, il doit être regardé comme ayant par lui-même, sauf circonstances particulières, causé un préjudice financier à l’organisme public concerné. À l’inverse, lorsque le manquement du comptable aux obligations qui lui incombent au titre du paiement d’une dépense porte seulement sur le respect de règles formelles que sont l’exacte imputation budgétaire de la dépense ou l’existence du visa du contrôleur budgétaire lorsque celle-ci devait, en l’état des textes applicables, être contrôlée par le comptable, il doit être regardé comme n’ayant pas par lui-même, sauf circonstances particulières, causé de préjudice financier à l’organisme public concerné. Le manquement du comptable aux autres obligations lui incombant, telles que le contrôle de la qualité de l’ordonnateur ou de son délégué, de la disponibilité des crédits, de la production des pièces justificatives requises ou de la certification du service fait, doit être regardé comme n’ayant, en principe, pas causé un préjudice financier à l’organisme public concerné lorsqu’il ressort des pièces du dossier, y compris d’éléments postérieurs aux manquements en cause, que la dépense repose sur les fondements juridiques dont il appartenait au comptable de vérifier l’existence au regard de la nomenclature, que l’ordonnateur a voulu l’exposer, et, le cas échéant, que le service a été fait.

23. Aux termes des deux décrets précités, le versement des deux indemnités en cause est de droit pour les agents de l’établissement concernés dès lors qu’ils ont réalisé les services en cause. Il est constant, au regard des tableaux de service établis et signés par l’ordonnateur attestant des journées et nuitées de présence, que ces indemnités avaient été versées aux agents de l’établissement ayant effectivement réalisé les services en cause et donc que le service a été fait.

24. En l’espèce, la volonté de l’ordonnateur d’exposer la dépense est établie.

25. Il résulte de ce qui précède que le manquement du comptable à ses obligations de contrôle n’a pas causé de préjudice financier à l’EHPAD « Le Clos du Parc » à Vernou-sur-Brenne.

26. Dès lors, en application des dispositions du II de l’article 29 de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée, il n’y a pas lieu d’engager la responsabilité de M. X au regard des règles du régime de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics.

27. En conséquence de ce qui précède, il y a lieu, d’une part, d’infirmer l’article 1 er du jugement n° 2019-0011 du 4 octobre 2019 de la chambre régionale des comptes Centre-Val de Loire et, d’autre part, plus aucune charge ne pesant sur la gestion 2016 de M. X, de décharger celui-ci pour cet exercice.

Par ces motifs,

DÉCIDE  :

Article 1 er . – Le débet mis à la charge de M. X par l’article 1 er du jugement n° 2019-0011 du 4 octobre 2019 de la chambre régionale des comptes Centre-Val de Loire est infirmé.

Article 2. – M. X est déchargé pour sa gestion de l’exercice 2016.

Fait et jugé par Mme Marie-Odile ALLARD, présidente de section, présidente de la formation ; MM. Vincent FELLER, Paul de PUYLAROQUE, conseillers maîtres, Mme Catherine PAILOT-BONNÉTAT, conseillère maître.

En présence de Mme Carole H’SOILI, greffière de séance.

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous commissaires de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par

Carole H’SOILI

Marie-Odile ALLARD

Conformément aux dispositions du IV de l’article 11 du décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022 relatif à la chambre du contentieux de la Cour des comptes et à la Cour d’appel financière et modifiant le code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes sur les appels des jugements rendus par les chambres régionales des comptes avant le 1 er janvier 2023 peuvent faire l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’État. La révision d’un arrêt peut être demandée après expiration du délai pour se pourvoir en cassation, et ce dans les conditions prévues aux articles R. 142-4-6 et R. 142-4-7 du même code.

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