Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 janvier 2022

Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 janvier 2022

20-17.047, Inédit

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 12 janvier 2022

Cassation partielle

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 40 F-D

Pourvoi n° T 20-17.047

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 JANVIER 2022

Mme [U] [B], divorcée [M], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 20-17.047 contre l'arrêt rendu le 8 octobre 2019 par la cour d'appel d'Orléans (chambre de la famille), dans le litige l'opposant à M. [W] [M], domicilié [Adresse 3], défendeur à la cassation.

M. [M] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de Mme [B], de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [M], et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 novembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 8 octobre 2019), M. [M] et Mme [B], mariés le 7 août 1965 sans contrat de mariage préalable, ont, par acte du 26 février 1979 homologué le 21 septembre 1979, adopté le régime de la séparation de biens.

2. Par acte unilatéral du 25 mai 2005, Mme [B] a promis irrévocablement d'affecter en nantissement au profit de M. [M] l'ensemble des parts dont elle était propriétaire dans des sociétés civiles à la sûreté et la garantie de la somme globale de 113 112 euros « formant l'ensemble des sommes qui seront dues à M. [M] à raison des sommes qui devront être versées au Trésor public par et faisant suite au redressement fiscal des sociétés MJGO Famille et SARL Saprophyt en ce qui concerne les droits de mes quatre enfants associés dans les diverses sociétés. »

3. Un arrêt du 28 juin 2011 a prononcé le divorce des époux. Des difficultés sont survenues au cours des opérations de comptes, liquidation et partage de leur régime matrimonial.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal et le moyen du pourvoi incident, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Mme [B] fait grief à l'arrêt de dire que le notaire devra tenir compte, à son débit, de l'apurement, au moyen de partie du prix de vente de l'immeuble indivis de [Localité 2], d'une dette personnelle dont le montant correspond à proportion de 113 112/210 000e aux sommes remboursées au Crédit agricole le 26 octobre 2007, au titre du prêt de 210 000 euros, alors « que la promesse de nantissement de parts sociales consentie par Mme [B] au profit de M. [M] était affectée à la sûreté et à la garantie de la dette de tiers, les sociétés MJGO Famille et Saprophyt, au titre des redressements fiscaux dont elles ont fait l'objet et dont les quatre enfants de Mme [B] sont associés, à l'égard du Trésor public ; qu'en affirmant que, par cet acte, Mme [B] s'était constituée débitrice à titre personnel de cette somme, quand l'acte visait la dette d'un tiers, la cour d'appel a dénaturé ce dernier, en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les éléments de la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

6. Pour dire que le notaire devra tenir compte, au débit de Mme [B], de l'apurement, au moyen de partie du prix de vente de l'immeuble indivis de [Localité 2], d'une dette personnelle de celle-ci, l'arrêt retient que l'acte du 25 mai 2005 consiste en une promesse de nantissement irrévocable, ne nécessitant pas la signature d'un quelconque autre acte pour constituer une reconnaissance de dette personnelle de la part de Mme [B].

7. En statuant ainsi, alors qu'il était précisé dans l'acte du 25 mai 2005 que le nantissement promis par Mme [B] garantissait la dette des sociétés MJGO Famille et Saprophyt, la cour d'appel, qui en a en dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le notaire devra tenir compte, au débit de Mme [B], de l'apurement, au moyen de partie du prix de vente de l'immeuble indivis de Blois, d'une dette personnelle dont le montant correspond à proportion de 113 112/210 000e aux sommes remboursées au Crédit agricole le 26 octobre 2007, au titre du prêt de 210 000 euros, l'arrêt rendu le 8 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne M. [M] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi principal par la SCP L. Poulet-Odent, avocat aux Conseils, pour Mme [B]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Mme [U] [B] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il avait dit que le notaire devrait prendre en considération les conséquences de la révocation par M. [W] [M] de la donation du 17 juillet 1995 résultant de l'acte du 14 septembre 2011 ;

1° ALORS QUE la renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer ; que si les donations entre époux consenties avant le 1er janvier 2005 sont librement révocables, l'époux donateur peut valablement renoncer à cette faculté lors de la procédure de divorce ; que le fait pour l'époux donateur d'inviter le juge du divorce à prendre en considération, pour la fixation de la prestation compensatoire de l'époux donataire, ladite donation caractérise sa renonciation non équivoque à user ultérieurement de la faculté de révocation de la libéralité ; que Mme [B] avait soutenu que M. [M], dans ses conclusions relatives à l'existence et à l'appréciation d'une prestation compensatoire au profit de Mme [B], avait renoncé à sa faculté de révocation de la donation du 17 juillet 1995, en faisant expressément référence à celle-ci ; qu'en jugeant que « la renonciation à la révocation de la donation n'est pas légalement possible », pour écarter l'argumentation de Mme [B], la cour d'appel a violé les dispositions de l'ancien article 1134 du code civil ;

2° ALORS QUE la renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer ; que si les donations entre époux consenties avant le 1er janvier 2005 sont librement révocables, l'époux donateur peut valablement renoncer à cette faculté lors de la procédure de divorce ; que le fait pour l'époux donateur d'inviter le juge du divorce à prendre en considération pour la fixation de la prestation compensatoire de l'époux donataire, ladite donation caractérise sa renonciation non équivoque à user ultérieurement de la faculté de révocation de la libéralité ; qu'en l'espèce, M. [M], dans ses conclusions relatives à l'existence et à l'appréciation d'une prestation compensatoire au profit de Mme [B], avait demandé que celle-ci ne soit bénéficiaire d'aucune prestation compensatoire au regard de la donation qui lui avait été faite puis de tenir compte de cette donation dans l'appréciation de ladite prestation ; qu'en jugeant que « la renonciation à la révocation de la donation n'est pas légalement possible » pour dire que la donation avait été valablement révoquée quand les conditions de renonciation tacite à la révocation étaient en l'espèce réunies, la cour d'appel a violé les dispositions de l'ancien article 1134 du code civil ;

3° ALORS QUE la renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer ; que si les donations entre époux consenties avant le 1er janvier 2005 sont librement révocables, l'époux donateur peut valablement renoncer à cette faculté lors de la procédure de divorce ; qu'en écartant l'argumentation de Mme [B] sans rechercher, comme il lui était demandé, si le fait pour M. [M] d'avoir demandé que celle-ci ne soit bénéficiaire d'aucune prestation compensatoire au regard de la donation qui lui avait été faite puis de tenir compte de cette donation dans l'appréciation de ladite prestation, ne caractérisait pas une renonciation tacite à sa faculté de révoquer la donation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1134 du code civil ;

4° ALORS QUE la cour a elle-même relevé que M. [M] avait lui-même demandé qu'il soit tenu compte de la donation consentie dans l'appréciation de la prestation compensatoire pour ensuite la révoquer une fois la prestation compensatoire fixée par le juge ; qu'en jugeant toutefois que la donation avait été valablement révoquée et que le notaire devrait prendre en considération les conséquences de cette révocation, quand il ressortait de ses propres constatations que M. [M] avait renoncé à la faculté de révoquer la donation en demandant qu'il en soit tenu compte dans l'appréciation de la prestation compensatoire, la cour d'appel a violé les dispositions de l'ancien article 1134 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Mme [B] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il avait dit que le notaire devrait tenir compte, au débit de Mme [B], de l'apurement, au moyen de partie du prix de vente de l'immeuble indivis de Blois, d'une dette personnelle dont le montant correspond à proportion de 113 112 / 210 000 aux sommes remboursées au Crédit Agricole le 26 octobre 2007, au titre du prêt de 210 000 € ;

1° ALORS QUE la promesse de nantissement de parts sociales consentie par Mme [B] au profit de M. [M] était affectée à la sûreté et à la garantie de la dette de tiers, les sociétés MJGO Famille et Saprophyt, au titre des redressements fiscaux dont elles ont fait l'objet et dont les quatre enfants de Mme [B] sont associés, à l'égard du Trésor Public ; qu'en affirmant que, par cet acte, Mme [B] s'était constituée débitrice à titre personnel de cette somme, quand l'acte visait la dette d'un tiers, la cour d'appel a dénaturé ce dernier, en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les éléments de la cause ;

2° ALORS QUE la promesse de nantissement de parts sociales consentie par Mme [B] au profit de M. [M] était affectée à la sûreté et à la garantie de la dette de tiers, les sociétés MJGO Famille et Saprophyt, au titre des redressements fiscaux dont elles ont fait l'objet et dont les quatre enfants de Mme [B] sont associés, à l'égard du Trésor Public ; qu'en affirmant que par cet acte, Mme [B] s'était constituée débitrice à titre personnel de cette somme, quand la sûreté consentie par l'épouse et affectée à la dette d'un tiers, ne pouvait transformer cette dernière en une dette personnelle à l'épouse, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1536 du code civil ;

3° ALORS QUE le nantissement s'éteint par voie accessoire chaque fois que la créance garantie disparaît, que ce soit par paiement ou par compensation ; que la compensation est l'extinction simultanée d'obligations réciproques entre deux personnes ; que Mme [B] avait soutenu que la dette fiscale de la société MJGO Famille à l'égard de M. [M] avait été compensée par une dette de dommages-intérêts du même montant - dommages et intérêts auxquels M. [M] avait été condamné par décisions des 10 mars et 8 décembre 2011 - ; que la cour a jugé que Mme [B] s'étant constituée débitrice à titre personnel de la somme garantie dans la promesse de nantissement, il n'y avait pas lieu d'examiner l'existence d'éventuelles compensations avec les sommes visées par le jugement rendu le 10 mars 2011 ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1289 et 1290 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause ;

4° ALORS QU'à supposer même qu'il puisse s'agir d'une dette personnelle de Mme [B] à hauteur de 113 112 / 210 000 €, la cour ne s'est pas prononcée sur la nature de la dette correspondant au reliquat de l'emprunt et sur sa prise en compte par le notaire au débit de M. [M] ; qu'en s'abstenant de statuer sur ce point, la cour a violé les dispositions de l'article 5 du code de procédure civile.

Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. [M]

L'arrêt partiellement confirmatif attaqué, critiqué par M. [M], encourt la censure ;

EN CE QU'il a considéré que M. [M] avait commis une faute dans l'exercice de son droit de révocation de la donation du 17 juillet 1995 et a en conséquence condamné M. [M] à payer à Mme [B] une somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

ALORS QUE, premièrement, pour retenir que M. [M] avait commis une faute dans l'exercice de son droit de révocation, la Cour d'appel a relevé que « seule l'exclusion de la prestation compensatoire pour un motif d'équité, tel que prévu par l'alinéa 3 de l'article 270 du code civil, est visée par la cour d'appel [dans son arrêt rendu le 28 juin 2011], de sorte que l'appréciation du quantum alloué tenait nécessairement compte de l'existence de cette donation » (arrêt attaqué p. 6 dernier §) ; qu'en statuant de la sorte quand l'arrêt du 28 juin 2011, alors qu'il déterminait le patrimoine des époux, a indiqué « Monsieur [W] [M] a, le 17 juillet 1995, donné 185 actions [?] que l'épargne en résultant pour Madame [U] [B] a été employée pour payer la société CIC Richelieu (pièce 18), et n'est plus disponible pour elle » (arrêt du 28 juin 2011, p. 5 § 5), la Cour d'appel a dénaturé l'arrêt du 28 juin 2011, en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

ALORS QUE, deuxièmement, et à tout le moins, tout jugement doit être motivé ; que les juges du fond ne peuvent statuer par voie de simple affirmation sans viser ni analyser, même sommairement, les éléments sur lesquels ils fondent leur décision ; qu'en affirmant, de manière péremptoire, que « seule l'exclusion de la prestation compensatoire pour un motif d'équité [?] est visée par la cour d'appel, de sorte que l'appréciation du quantum alloué tenait nécessairement compte de l'existence de cette donation », sans viser ni analyser, même sommairement, les éléments sur lesquels ils se fondaient, les juges du fond ont violé l'article 455 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2022:C100040

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